Des contours géométriques affutés. Des rues vides, des voitures vides. Et des corps immobiles, postés ça et là dans une lumière trop blanche, trop lisse. Presque un décor.
Comme si ces passagers attendant un bus de nuit dans une gare routière de la Republika Srpska (en Bosnie-Herzégovine) posaient, figurants fantomatiques d’un univers crépusculaire. Comme si l’une des photographies hantées de Gregory Crewdson prenait vie (ou mort ?) devant moi.
La tête posée contre la vitre d’un bus de nuit, j’observe. Les passagers en transit, les gares routières désertes, le halo de lumière d’un unique spot à la devanture d’un routier ouvert toute la nuit. L’odeur de cigarette refroidie qui hante un bar aux pampilles ridiculement colorées. Les aboiements lointains des chiens errants, dérangés par l’intrusion soudaine de passagers en goguette, cherchant un café acide ou des toilettes salutaires.
Comme un envers du décor ou une dimension invisible. Le pouvoir poétique du crépuscule est de « transformer l’ordinaire en quelque chose de magique et d’autre » dit le photographe : le voyageur lui y voit le moment où les faux-semblants de la journée s’étiolent. Frénésie, trafic, conversations fortes en voix, regards et gestes affairés, ont fait long feu. Désormais tout ralentit, gestes économes et ombres trop longues. On parle peu. Visages hagards, haltes imprévues sur la route, attente sans fin de gares routières. Un univers si fatigué qu’il prend des allures de papier mâché et glacé.
Peut-être la narration poétique du crépuscule est-elle plus dans l’oeil du spectateur que dans la scène photographiée.
Note : si tu veux découvrir l’oeuvre de Gregory Crewdson, par exemple Beneath the Roses.
Prof d'histoire-géo tu aurais pu rajouter une ou deux lignes pour expliquer "Republika Srpska". Mais joli texte, comme d'hab.