Comme Bob, ma mémoire est une éponge.
[Cette introduction mérite un Oscar des Blogs.]
J’en avais déjà parlé, tout ce qui n’est pas expressément utile je le retiens facilement : l’adresse précise des parents de tes amis, la date à laquelle ton père doit aller chez le dentiste (parce qu’incidemment tu me l’as dit entre moult informations plus essentielles) ; en revanche la succession des rois de France du XIè au XVè siècles ou les grandes batailles napoléoniennes, ça non, ma mémoire estimant qu’il y a des livres publiés précisément pour être consultés afin de retrouver lesdites connaissances. [Et avec les langues étrangères, je connaitrai tout le vocabulaire culinaire avant d’avoir retenu la première conjugaison au subjonctif.]
Bob-ma-mémoire-éponge peut de ce fait me conduire à des situations honteuses, au point de décevoir à jamais mes amis pourtant habitués à mes élucubrations fantasques…
La honte est ainsi tombée sur moi à Véliko Tarnovo, au centre de la Bulgarie.
J’y étais en pleines Pâques orthodoxes, rien de honteux en soi, profitant la nuit à flanc de colline des chants qui montaient des églises de la ville et de celle, illuminée, du Tsarevets, la forteresse imprenable juchée sur la crête au milieu des gorges formant le décor de la ville. Et il y eut un moment où il fallut aller crapahuter sur les murets des vestiges de la citadelle.
Cheminant avec moi, Gulab Jamun, dans sa soif inextinguible de connaissance et de compréhension, commença à me lire à haute voix un dodu paragraphe sur la citadelle de cette capitale du Second Empire bulgare (XIIè-XIVè siècles) et ses fondations byzantines. Quand elle a été construite, par qui, pourquoi, comment elle a été résisté les siècles suivants, les victoires qu’elle a connues et la défaite par trahison, toutes choses qu’elle me lisait fort solennellement jusqu’au passage qui explique « dans la région, il y avait des haiduk qui… ». C’est là où, distraitement, je reprends la prononciation du mot haiduk : [railledouque].
Gulab Jamun me regarde, interloquée : « Tu connais ? C’est quoi ? ».
Et voilà.
Comment dire… [Sache que dans ce genre de situations, le regard interrogateur de Gulab Jamun ne souffre aucun atermoiement. Je dois me lancer.]
J’aurais pu mentir en lui expliquant avoir découvert le mot en lisant le classique Primitive Rebels and Bandits écrit par Eric Hobsbawm. Mais j’aurais du inventer tout le raisonnement puisqu’il s’avère que je ne l’ai pas lu.
Je dus donc choisir l’honnêteté : « Alors en fait, c’est parce que… [En tout petit] ben en fait, tu sais, dans « Dragostea din tei »… [Regard interrogateur de Gulab Jamun]… oui, tu sais la chanson d’O-Zone, « numa numa yé », là… [Regard interloqué de Gulab Jamun]… et bien il dit « Hallo, salut, sunt eu, un haiduc. Și te rog, iubirea mea, primește fericirea »… [Regard consterné de Gulab Jamun, et dans ses pupilles je vois inscrits les mots suivants en lettres de sang : « Elle. Connaît. Toutes. Les. Paroles. De. Cette. Chanson… »].
Oui. A l’époque de cette chanson bien plus populaire que le chant pascal nocturne écouté la veille, j’étais allée lire les paroles et leur traduction, intriguée par les mots et structures employés en moldave/roumain. Et j’avais buté sur le mot haiduk dont j’avais regardé et retenu la signification.
Désormais, Gulab Jamun continue parfois, quand il le faut, de se tourner vers moi pour m’interroger sur un personnage, un lieu, un événement. Mais elle ne me demande plus comment je sais.
Et maintenant, je vais aller me cacher sous les tilleuls.
Merci, Chouyo, pour cette note à haute valeur culturelle ajoutée.
Mon petit doigt bulgare me souffle que « din tei » se prononce comme « dântâi », et que la référence aux tilleuls ne laisse pas de bois…
Comme quoi cette chanson qui nous a trotté dans la tête et qui continue maintenant, grâce à toi, a servi
Je prends tout ce qui peut me changer de La Reine des Neiges, même les Numa Numa Yé 🙂
Gulab Jamun c'était vraiment son nom ? ça me fait saliver