Je n’hésite que très rarement.
A me faufiler, à me glisser furtivement entre deux battants de portail ouverts, à jeter un oeil entre les panneaux disjoints d’une palissade. J’ose cela partout, des églises fermées de Bologne aux villages indiens, des ruelles londoniennes aux fermes chinoises, d’une porte cochère parisienne à un potager roumain, parce que je sais très bien ce qui m’attend derrière : une incursion dans la vie quotidienne réelle, impossible autrement.
Préserver l’intimité m’importe… mais j’ai appris à ne pas surjouer : à ne pas croire qu’aller vers les autres, leur poser mille questions parfois maladroites, entrer dans un jardin, me vaudra chevrotines ou regard courroucés. Et je ne tomberai pas dans l’excès inverse auquel on se complaît, prétendre que « nous, Occidentaux » refusons le contact et avons peur de tout échange. C’est totalement faux, de la campagne galloise ou néerlandaise au métro parisien. Mais je reparlerai de ces « connards de Parisiens »…
Moi, je viens en voisine.
Je salue, je souris, je passe le portail ou toque doucement au muret pour signaler ma présence. Je tente quelques mots dans la langue de la région, et en quelques secondes le plus souvent cela vient à bout de l’étonnement. Visite courtoise donc. Je ne reste jamais des heures, mais j’observe, dis souvent mon admiration sincère devant un jardinet où courent des poules et des chèvres. Je demande les noms des fruits et j’en ai goûté ainsi quantité en passant la frontière albanaise. On m’a poursuivie avec des rires et une foule de gamins dans un village de terre séchée d’Oman pour partager un thé. Et j’ai mangé nombre de paratta et de chapati dans la cuisine d’un temple indien ou sur le sol d’un chawl bombayite.
Il est certain que cela demande parfois une confiance aveugle, et il m’est arrivé de prendre une grande inspiration. J’ai même pensé amibes, parasites, peste, choléra voire tuberculose leptospirosique de l’intestin (au moins) quand ce moine au regard sombre, habillé de noir et totalement mutique, m’a demandé de le suivre dans une grotte. Par une journée caniculaire où je grimpais à pic une élévation sur le tracé exact de la frontière entre l’Azerbaïjan et la Géorgie, il m’a offert dans une gamelle de l’eau jaillie de la paroi…
J’ai bu.
Le goût du risque, et l’idée que si je demande le contact je dois aussi accepter de recevoir en retour. Cette eau n’a fortement heureusement eu aucune conséquence désastreuse, non plus que celle d’un puits de la campagne roumaine, le pis que j’ai connu a été après quelques gorgées de cachaça brésilienne en Amazonie… à élever au rang des pires tord-boyaux qui existent…
Il y a d’autres fois où je ne dis rien.
Où j’avance entre deux murs passés à la chaux et me retrouve après un coude devant une cour intérieure ensoleillée. Saisie par la scène. Muette.
Le pak choy, le pe cai, la nan gua qui sèchent au soeil. Les oignons, les piments, le kéfir et le concombre amer étalés sur des bancs de pierre, suspendus à des perches, les réserves d’un automne préparant le rude hiver de ce petit village chinois éloigné de tout.
Et je l’ai trouvée belle, toute de concentration et de cheveux gris, sa peau tannée par le soleil et le temps.
Alors, cette fois-ci…
… je n’ai rien dit.
Oui,qui a dit que la curiosité était un vilain défaut?Nous sommes souvent récompensés d'avoir osé...c'est comme cela que j'ai gouté le vin dans la cave romaine (2niveaux sous terre!)d'un pépé dans un petit village dromois,oui il existe encore de ces moments en Occident!
Le pays où tout sèche sur des bambous 🙂 Très jolie histoire !