Lors d’une mini-vadrouille dans les faubourgs de Lille, derrière les gares et loin du centre-ville pimpant et restauré.
Là où les briques se déchaussent et s’égrènent les estaminets Jupiler, là où les murs sont hauts et attendent la reconversion, on trouve la trace de luttes anciennes et récentes. Renouvelée, réappropriées, revues, repensées. Les concepts d’hier exprimés à travers des codes graphiques contemporains, un mur d’héritage pour une peinture de réappropriation.
Un patrimoine entier donc…
Tout le long de la rue Boldoluc, un mur sépare l’ancien habitat ouvrier et l’usine de Fives-Cail-Babcock, FCB. D’une qualité étonnante, extrêmement bien pensés, deux de ces graffs ont particulièrement attiré mon regard.
Sur le premier, le Patron. La pose arrogante, c’est plus un pirate d’industrie qu’un capitaine avec son noeud papillon à tête de mort, son sourire carnassier et son avant-bras-moignon. Il arbore une canne, qui aurait pu être une épée mais qui là est le parapluie qui le protège des risques de la vie… Il est le Privilégié par excellence, un peu paternaliste, en costume. Le col blanc à chapeau, héritier d’une iconographie vieille de deux siècles qui reprend ici très clairement des codes graphiques contemporains, notamment les traits burtoniens du Maire de L’Etrange Noël de Mr Jack. Ce fameux Maire qui a deux visages. Comme les patrons… Derrière lui s’élèvent les bâtiments de l’usine, imposants et tentaculaires, car seule la taille compte : il faut en imposer, quand bien même on la laisserait s’écrouler en réalité comme à droite…
Quelques mètres plus loin, il est jeune (il est beau, et il sent bon le charbon chaud…). L’Ouvrier. Volontaire, engagé, le drapeau socialiste levé et la casquette vissée au sommet du crâne : il rappelle à lui seul, avec son regard et sa mâchoire, l’iconographie maoïste et les manga, les dazibao et les anime. Dans ses poings serrés se rêve le réalisme soviétique, et en arrière-plan se dresse l’usine, fonctionnelle, debout. L’instrument de travail est glissé dans la poche comme il est chevillé au coeur, devenu cause personnelle et membre de la famille. Quant aux ouvriers et drapeaux en ombre derrière le jeune porte-étendard, ils sont soudés. Ils sont le nombre. Ils vaincront.
Malgré l’évidente modernité des codes graphiques employés ici, c’est toute une iconographie historique de la Lutte qui reprend vie sur ce mur.
Celle qui raconte deux mondes qui s’affrontent sur un même mur d’usine. Comme ils se sont affrontés des deux côtés du mur depuis si longtemps.
Ce mur en est devenu magnifique
@ Reinemère : oui ! C'est ce que je me suis dit en avançant, je découvrais un dessin après l'autre et je n'en revenais pas, à la fois de la qualité et de la perspective d'ensemble !
Merci pour cette découverte!
@ Norlah : de rien, c'est un plaisir que de la partager !