En me promenant dans ces calmes villages du Huizhou dont j’avais parlés ici, c’est à l’entrée d’une maison ancienne que j’ai vu s’affairer l’homme à la cigarette.
Détendu mais sourcils froncés, armé d’un gros ballot de feutre à la main, il allait à chacune des petites tables placées en ligne le long du mur rapidement badigeonné. Intriguée. Je m’approche. Et sur les tables devant lui du papier de riz blanc avait soigneusement été placé. Je me glisse près de lui.
Et la Chine de prendre vie.
En creux.
Des poèmes anciens gravés à même la pierre anthracite, respectant les courbes et traits accentués de la calligraphie de Xu Chengyao, érudit et poète, promoteur de la littérature du Huizhou et défenseur de la foi bouddhiste sous la dynastie des Qing. Comme souvent, Xu Chengyao avait choisi de calligraphier ses poèmes en variant pour chaque rouleau le style choisi, selon une époque ou un trait particulier. Je scrute les caractères gravés, et je vois qu’il y a du style sigillaire (xiaozhuan), du style régulier (kaishu), du style d’herbe (caoshu)… Le trait se fait séducteur, inventif, énergique, langoureux en Chine.
L’homme, la cigarette se consumant à ses lèvres, s’empare du tampon qu’il humecte d’encre noire et d’un geste doux et rapide encre la feuille de papier de riz. Les caractères se dessinent. Flous d’abord, puis des contours de plus en plus réguliers, jusqu’à ce que les sinogrammes apparaissent terriblement précis. Le poème surgit de la feuille de riz, lettres blanches sur papier noir.
Révélation des contours, révélation des mots, révélation du sens.
Il restera par endroit des tâches plus claires. Des accrocs dans le fragile papier de riz. Des brûlures aussi de la cendre tombée de la cigarette qui s’est finie.
Chaque feuille, unique.
Deux ans plus tard, du lointain Huizhou c’est sur mon mur parisien que les poèmes de Xu Chengyao ont trouvé leur place.
Avec toujours les minuscules accrocs et les brûlures laissés par le travail de l’homme à la cigarette.
magique !!!
@ Chalipette : oui ce moment était étonnant, comme suspendu dans le temps...
Plus jamais je ne verrai ces estampes du même œil.
Merci pour l'éblouissement ! 😉
@ Dissensus : hihi, de rien ! 😉
Le contraste de la clope au bec et de la finesse du résultat <3
@ Nekkonezumi : c'est exactement ça, et ses gestes lents et précis et nonchalants à la fois, j'ai été fascinée !