Arrivée il y a quelques jours à Tbilissi, première étape d’une vadrouille qui me mène au cœur du Caucase.
Tbilissi, c’est un nom qui résonne étrangement dans l’imaginaire… Des correspondants de guerre en 2008, l’évocation d’une datcha sous la vigne dans un roman russe ou, avec le territoire derrière, le royaume de Colchide… Rien qui ne me dise concrètement quoi et qui aujourd’hui, et me permette de me faire une idée du pays. La Géorgie. Pourquoi pas. Sans plus d’éléments… cela borde la mer Noire ? aux confins de la Turquie, de la Russie, de l’Arménie (vers laquelle je me dirige ensuite) ? des influences russes, turques, perses ? Je devrais y trouver de quoi me plaire…
Il est 4h du matin.
L’aéroport de Tbilissi grouille de passagers fatigués. Du cyrillique, du géorgien, de l’anglais sur les affiches. Des destinations s’affichent, Tachkent, Prague d’où j’arrive, Moscou, Varsovie, Istanbul. Le Caucase, ce lien entre l’Europe de l’Est, de l’Ouest, la Russie et l’Asie centrale.
C’est la première fois que je mets les pieds sur la rive orientale de la mer Noire. Pas d’idée préconçue, pas de comportement préinscrit par de précédentes visites dans la région : je découvre totalement et c’est exactement à ce moment qu’advient ce lâcher-prise du voyage. Il faudra que je le décrive un jour, ce moment où l’on sait intimement qu’il faut être en confiance : si l’on se méfie en voyage, si l’on garde nos comportements de tous les jours, on ne peut voyager.
Alors… au gars maigrelet, regard baissé, qui m’aborde pour me proposer un taxi, je dis oui. La voiture est située sur un parking dans l’ombre, on jette un coup d’œil à droite à gauche, voiture qui a bien vécu déjà et sans panneau « Taxi ». Clandestin donc, comme il y en a à Paris et à Londres. Et lui de dire dans un sourire : « don’t worry, this is Georgia ». Et il a raison. Car la Géorgie s’avère au fil des jours un pays très sûr où les gens sont au moins protecteurs, au pire paternalistes. Et le grand ménage opéré par le président-autocrate Sakhashvilli aura au moins eu pour avantage d’avoir débarrassé les routes des brigands.
Route splendide, bas-côtés propres, panneaux indicateurs en géorgien et anglais. Près d’un pont, une affiche, la route George W. Bush et sur les bâtiments des ministères, le drapeau européen flotte. Car la Géorgie est aussi une vitrine pour le pouvoir en place : le minuscule centre des deux ou trois grandes villes a été reconstruit, colonnades et frontons pseudo-néoclassiques repeints de couleurs pastel pour servir de vitrine. Le bon goût viendra plus tard : il faut du grandiose pour résister au Grand Frère russe, du grandiose pour convaincre les amis occidentaux, la France et les Etats-Unis en tête.
Il est 4h30.
Personne dans les rues, si ce n’est un vieil homme qui promène un chien. Entrée dans la ville par ses faubourgs. Les rues se font pavées. De gros cubes couleur ardoise, mal ajustés, que l’on devine glissant à la lumière chiche des quelques lampadaires. Je déchiffre les enseignes : l’elfique local me charme déjà, le géorgien est cette superbe écriture faite de circonvolutions, comme s’il s’agissait de quenya et de sindarin de Tolkien ou de langues dravidiennes (si, regarde le telougou !).
On descend vers le centre de la ville. Maisons basses de briques, que je découvrirai omniprésentes en Géorgie, ruelles au détour desquelles surgissent des palais aux façades tarabiscotées de stucs et de corniches, de statues et de balcons. C’est la ville russe, celle reconstruite au début du XIXème siècle après que les Perses ont saccagé Tbilissi.
Il est 5h.
Dans les collines et les vallons de Tbilissi, je me rends compte du calme absolu. On n’est pas en Asie, c’est certain. Le jour se lève sur les monuments d’apparat du centre, le minuscule cœur mégalomaniaque de la ville, que l’on oublie en quelques mètres. Demain, je découvrirai le reste.
Comment ces palais s’effritent doucement dans la chaleur de l’été. Comment la ville, qui me semble vide, tombe doucement en ruine. Comment les petits squares s’emplissent l’après-midi de vieux messieurs jouant au jeu de go. Comme aux fenêtres grandiloquentes apparaissent les plafonds d’appartements d’apparat délabrés, réinvestis de bric et de broc, comment de magnifiques escaliers ne mènent à rien. Comment les porches servent d’abri aux étals de légumes, comment les plafonds démesurément hauts et les cheminées de marbres sont le signe d’une opulence toute disparue, comment toute la ville ancienne donne l’impression d’un immense squat où chacun tâcherait de s’accommoder de l’ancien pour vivoter aujourd’hui.
Ce sentiment poignant que j’ai éprouvé à Palerme, à Rome, à Rangoon, Bombay ou Calcutta.
Le sentiment d’une ville qui a disparu mais s’éternise encore un peu…
Toute cette beauté en train de disparaitre, cela fait mal au cœur.Quelques sous:on créerait des emplois et on recréerait de la beauté...Mais les mécènes sont morts,on préfère thésauriser...
@ Jelaipa : et en même temps, j'avoue préférer cela (comme à Palerme ou à Bombay) plutôt que la rénovation "à la truelle", qui détruit et remet des parpaings et un coup de pinceaux. Et peut-être aussi cela correspond-il bien visuellement à l'idée de nostalgie...
Merci de nous faire partager ton voyage ! je sens que le dépaysement a été total !
@ Chalipette : absolument ! Une véritable surprise, culturellement et en matière de paysages !
Une très belle décrépitude!Les lambeaux de papier peint en suspension me font rever ,sacrée ville!
Bon et qu'est-ce qu'on mange?
@ Zaneema : je savais que cela te plairait 😉 Hahaha, quand tu vas voir ce que l'on mange tu vas adorer !
Oh, j'adore ce genre de décrépitude. J'ai toujours peur que rénovée, la ville en question ressemble à un bonbon plein d'arômes artificiels... ça fait envie en tout cas.
@ Nekkonezumi : ahhhh très belle image !!! C'est exactement le sentiment que j'ai eu à Prague par exemple. Et là... délice d'une friandise un peu râpeuse mais délicieuse en-dessous... 🙂
Joli ! Le lâcher-prise du voyage, ce moment décisif... (et qu'on ne contrôle pas).
Je prends un billet Retour^.
@ Secondflore : oui, c'est un moment absolument nécessaire et en même temps... il n'y a effectivement aucune technique pour le faire advenir, soit on arrive à se mettre en mode "je regarde, je découvre et je me laisse aller" soit on reste en tension, avec une certaine frustration parfois. En tout cas, en Géorgie j'ai réussi à totalement lâcher-prise ! 🙂