Un peu comme avec le singlish de Singapour et le chinglish en Chine, l’anglais n’a pas résisté à l’Inde. Et moi, je n’ai pas résisté à l’anglo-indien, ou hinglish, ou quel que soit le nom de ce que l’on y parle. Parce que si le Standard English c’est bien, l’anglo-indien c’est trop mieux…*
Un rapide tour d’horizon ? En Inde, un cercle réduit et élitiste parle un excellent anglais américanisé avec quelques intrusions de vocabulaire hindi (du genre « it is complete bevakoofi to trust the newspaper these days », « betaaaaa, come to mummy » etc.). La classe moyenne parle un anglais correct où le mélange avec les langues locales se fait plus prégnant, tournures bengalies, formules tamoules, où progressivement les personnes qui t’entourent dodelinent de plus belle avec un grand sourire et toi… tu perds pied. Quant au reste de la population, c’est-à-dire 90% des gens que tu rencontres dans la journée, si ce ne sont pas des hommes travaillant avec les touristes, leur anglais est très médiocre voire inexistant.
Conclusion : en Inde, mieux vaut donc dodeliner que de parler anglais.
Mais comme tu auras maille à partir avec des personnes mi-anglophones aussi, guichetiers, contrôleurs dans les trains, chauffeurs de taxis etc., voici quelques conseils pour t’aider à sacrifier ton pur accent british et laisser ton anglais se fondre et se consumer dans la rondeur et la sensualité de l’anglo-indien…
… et c’est ainsi que l’Inde s’immisce sur ta langue.
On n’aime pas la solitude en Inde ! Alors, logiquement, tu doubles l’adjectif plutôt que le laisser seul… et le verbe aussi tant que tu y es. L’avantage est que cela te permettra de te moquer d’une amie qui, sortant la tête de la voiture pour demander aux ouvriers en train de réparer (défoncer ?) la chaussée, demande « walking-walking we can ? ». Moment sublime. Et puis, parce que l’on est fier du patrimoine en Inde, on utilise le plus possible des archaïsmes qui n’ont plus cours depuis 150 ans ailleurs : du genre thrice pour 3 fois. Oui, oui… tu te souviens aussi de Mme Something qui assenait en cours d’anglais « Once, twice… three times !!!« , et bien tu peux retourner la voir pour lui révéler la vérité vraie. En Inde, on aime le mystère aussi : n’hésite donc jamais à formuler de manière étonnante et hermétique. Ainsi, « please refer to the same only » : personne n’a jamais su ce que cela signifiait, mais il faut l’utiliser au moins une fois par jour. L’Inde c’est la débrouille et l’esprit pratique ? Alors modifie les verbes pour qu’ils le soient aussi : si « to postpone » existe, il n’y a aucune raison pour que « to prepone » n’existe pas, repousser et avancer un rendez-vous par exemple. Et tout comme il faut un minimum de 12 000 danseurs pour un film Bollywood, il faudra des accumulations grandiloquentes : ton hôtel s’appellera donc le Suprem Grand Palace Mahal Deluxe. En toute modestie. Bien évidemment, on respecte cependant méticuleusement le Standard English en Inde, et chaque phrase aura son question-tag comme il se doit : il sera juste traduit en hindi. Mot pour mot. « Haina« , c’est-à-dire « is not« .
Mais avouons que tout comme pour la vérité, en matière de langue l’essentiel est ailleurs. Et l’essentiel, c’est la prononciation…
Sous l’influence des langues locales aux voyelles arrondies, aux consonnes étouffées, l’accent tonique qui virevolte et l’intonation qui ondule, la phrase anglaise se pare de soie et de paillettes, elle se déroule comme le tissu d’un sari le long d’une hanche arrondie… Le « o » sera fermé, et quitte à dire « boat », vas-y directement et prononce « beaute ». Le « a » plus long jusqu’à ce que « pattern » donne quelque chose comme « paaaaaateun ». Et tu feras chanter les mots en insistant sur des syllabes inaudibles jusque-là, en insistant d’un ton plus grave sur la première plutôt que la seconde, tu allongeras les mots et en rétréciras d’autres… Et le simple mot « water » deviendra
« wooooot’r »
↓ →
Ce qui, à l’échelle d’une phrase entière, devient absolument sublime…
Evidemment, si tu ne dodelines pas avant, pendant et après, ta phrase perd la moitié de sa force et de son sens.
Tu ricanes ? Mais l’anglo-indien est une maladie réellement contagieuse, la seule que j’aie attrapée en Inde (pour l’instant rien n’est déclaré côté lèpre, peste et tuberculose). Et tellement habituée à le parler en dodelinant dans tous les sens, en arrondissant les voyelles, en construisant mes phrases pour qu’elles soient les plus compréhensibles possible, que j’ai eu du mal à me défaire de certaines habitudes. Et me voilà dans un hôtel d’un quartier huppé de Londres face à trois réceptionnistes. D’origine pakistanaise. Je ne sais pas si c’était parce que juste débarquée de Bombay, si c’était un réflexe, ou si c’était leur peau, leurs yeux, leur sourire irrésistible, mais je me suis sentie… à la maison. Et à la maison, on ne réfrène pas l’accent joyeux, dodelinant et rondouillard de l’Inde ! D’où…
– Helloooooo !!! Vi booked é loom…
C’est comme si, arrivant au Sénégal, je m’étais adressée à un réceptionniste sénégalais avec l’accent petit-nègre. Ce jour-là, je me suis roulée en boule dans un coin de honte.
Si toi aussi tu veux t’amuser, c’est ICI.
* C’est tellement trop mieux que je crois bien que sur certains mots je ne m’en débarraserais jamais… D’ailleurs, si tu aimes l’anglo-indien il y a le petit lexique de « The Queen’s Hinglish : How to speak pukka » de Baljinder K. Mahal qui est pas mal du tout.
Oooook ook!
(Pardon pas pu résister)
Ma prononciation de l'anglais est aussi beaucoup influencée par mes voyages en Inde. Je ne peux plus dire "Three", seulement "Tri".
Pour aller à la gare ferroviaire ou routière, il ne faut surtout pas dire "Could you drive me to the railway station?", le début de la phrase ayant des chances de rester incompris. Il faut dire avec la plus grande conviction possible "Rélwé stéchane" (qui est une transcription française de la transcription hindie standard de l'anglais "Railway station"... Celui-ci et "Basstande" sont les deux astuces les plus utiles pour se faire comprendre.
Merci pour ce petit bijou de récit. Je suis 'okey okey' avec la totalité même si mon expérience de l'anglo-indien est beaucoup beacoup plus très limitée que la tienne.
Dans le même esprit que le conseil de Joël, j'avais compris au bout de 3 semaines de vadrouille, qu'il valait mieux faire simple pour demander quelque chose au chauffeur. J'ai donc fini le voyage en mode "Music ok?" quand on avait envie qu'il allume la radio. Et c'était bcp plus efficace que le "Would it be possible, please, to..." 😉
Hannnji madam!
I did ze same t'ing only in brrritén! I ask the bengla boy at réceptionnne if he knew the geyzer was brrrokén and needed to be fixed. Ok, haina?! (en dodelinant de la tête, bien évidemment).
I dieded of utter supreme shame ze same dé only.
Non, mais seriously, tu as raison, une fois que tu as attrappé l'anglo-indien, tu ne peux plus t'en défaire. Et puis de toute façon, c'est tellement drôle que tu ne VEUX pas t'en défaire, héhé!
Ben je vois qu'on est un sacré groupe ayant attrapé ce virus.Je te confirme,c'est un réflex,l'arrivage tout frais d'Inde n'y est pour rien.Nous avons désormais le "mode Hindglish"qui se déclenche automatiquement en présence d'indiens.J'ai eu également beaucoup de mal à me défaire du "accha tikh hai"-dodelinement de tete,qui revient parfois et surtoutdans les administrations(les séquelles de longues heures passées dans les offices là-bas ,je pense).En tout cas il y a longtemps que je n'ai plus de complexe quant à mon "indiaglish accent", j'assume !Je trouve ça tellement rigolo!
D'ailleurs autre anecdote,Mister India dans l'avion pour venir la première fois en France avait demandé de l'eau ,euh non de la "wooooooo't r"et l'hotesse (anglaise) s'était ramenée avec ...du beurre,hihihi!!!!!
Je reviens de 5 semaines en Inde du Sud, et j'ai attrapé aussi le virus...ce qui fait bien rire les autres anglophones...quand je parle anglais maintenant...je ne veux pas m'en défaire non plus, car c'est trop amusant. Une autre anecdote: un Français qui demandait un bol de "Rice" s'est vu apporter un bol de "Ice" !!!