A l’assaaaaaaaut…
Je viens de passer une semaine à contempler avec des yeux neufs une ville que je connais comme ma poche (ou presque, oui, bon, d’accord).
Rentrée récemment à Paris, j’en avais apprécié tout ce qui m’avait manqué en vivant en Inde : confort et aspects pratiques, habitudes retrouvées et liberté de mouvement. Mais j’y ai aussi reproduit immédiatement les réflexes acquis par celle qui y a vécu dix ans déjà. Vivre dans un Paris recomposé de toute pièce, un Paris à ma convenance, qui serait exempt de sites touristiques et d’adresses célèbres, qui serait fait uniquement de rues de traverse et de vie de quartier. La vie quotidienne oblige à porter des oeillères, à arpenter les rues par nécessité plutôt que par envie, mais aussi à remettre au lendemain la découverte d’une église ou d’un musée, car on a tout le temps…
Mais à Paris, Ville Touristique par excellence, j’ai acquis en sus un certain mépris, ou une condescendance ?, à l’égard des monuments célèbres. Trop évidents dans mon paysage, je ne les regardais plus, trop évidents sur les sentes touristiques, je ne voulais plus les voir. Et j’ai fini par conspuer le Sacré-Coeur, laisser tomber aux oubliettes l’Hôtel de Ville. J’ai aussi fini par vouer aux gémonies le Loir dans la Théière et fuir à toutes jambes les Champs-Elysées… oui, bon, ça c’est justifié, c’est vrai.
Summer time au parc André Citroën.
Alors cette amie japonaise est venue.
Le regard d’une étrangère, habituée aux villes américaines et asiatiques, dont la culture visuelle et symbolique n’a rien de commun avec la France. La curiosité, les questions fondamentales, de celles que l’on ne se pose plus, sur des détails que l’on ne remarque plus. Son enchantement, car Paris revêt un aura particulier pour les Asiatiques et les Japonais. Sa gourmandise face à une culture si louée, glorifiée même. Son impatience toute asiatique à cocher scolairement chacun des incontournables recensés par son guide. La ville qu’elle voulait voir était à mes yeux un cliché vivant, faite de Pierre Hermé (implanté et sanctifié au Japon) et de Saint-Germain des Prés.
Je voulais lui dire Belleville et le village de Passy, la rue Ordener et Arts et Métiers, les ruelles de la Butte aux Cailles et les églises russes orthodoxes. Je voulais lui faire fuir le Paris de Woody Allen, le Paris qui n’existait plus dans mon regard.
Et…
Sacré-Coeur Revisited : la Verrue de l’anti-Commune a tout de même de sublimes ornementations intérieures…
Vue panoramique depuis la tour Montparnasse : mais pas du 56è étage… moi j’ai eu la chance d’une invitation personnelle…
… j’ai redécouvert Paris.
Par des promenades ponctuées de découvertes gastronomiques (monomanie nippone oblige), je l’ai conduite sur des itinéraires mêlant les incontournables au Paris quotidien. Lui détaillant les enfants Cyrillus et les femmes africaines, et la regardant photographier églises et bâtiments à tour de bras, indiquant les perspectives… « Aux grands hommes la Patrie reconnaissante »… les bâtiments si bas au regard étranger. Paris ville plate et pourtant si vallonnée.
D’explications en histoires, j’ai recommencé d’ouvrir les yeux. Et de me rendre compte que, s’il y a des incontournables à Paris, c’est pour une bonne raison… Car, quoique pompeuse et grandiloquente parfois, il y a une homogénéité dans cette ville, une cohérence visuelle qui lui confère sa beauté. Les Invalides solennels et la jubilation décorative du Grand-Palais, les ors de l’Opéra et la ligne magistrale courant de la tour Saint-Jacques à La Défense. J’avais fini par ajuster mon regard à ce qui m’était utile au quotidien, aux finalités efficaces (un café où l’on a rendez-vous, une aile de musée pour voir une exposition bien précise) et j’avais oublié le grand angle. Mon regard s’est aussi enrichi de lectures et de voyages. A force de voir l’ailleurs, de le décrypter et d’en savourer les détails, on approfondit sa culture visuelle et l’on éduque son goût. Je peux désormais un peu plus, un peu mieux, mettre en perspective et choisir aussi. J’ai vu, j’ai lu, j’ai vécu…
La cour des Invalides où je découvre, effarée de ne l’avoir vu avant, que trois façades portent des cadrans solaires…
Il a suffit d’un regard émerveillé et d’une canicule faisant fuir la majorité des gens pour que Paris se donne à moi à nouveau. Que j’oublie les touristes, les vendeurs de souvenirs et les mocktails à 9,50€ (oui, la place de la Contrescarpe a bien changé…), que je constate avec fierté à quel point Paris POUR SON PLUS GRAND BIEN refuse de devenir une ville muséifiée : les poubelles à terre et le métro qui pue, les quartiers glauques, les indications en français seulement ? Je les chéris.
Car je suis heureuse de ce Paris réfractaire à devenir le parc d’attraction touristique que d’aucun aimerait y voir, tout en offrant au touriste tout ce qu’il souhaite y trouver. Comme les villes réelles que j’aime, de Barbès à la place Vendôme, de l’East End à Belgravia, de Mahim à Colaba.
La galerie Vivienne : superbe, surtout un dimanche de canicule, quand les boutiques bobo-chic sont fermées…
J’ai retrouvé le plaisir de décrypter, comme je l’avais en faisant visiter Bombay. Nous maîtrisons des fondamentaux culturels qui sont devenus des réflexes (comment circuler dans une église, lever les yeux car les arches et vitraux y importent plus que le reste, savoir que le chevet est tout aussi beau, voire plus, que la façade par exemple…) mais qu’une Japonaise ne peut avoir. Alors je lui montre les rois de France, je lui raconte les mosaïques byzantines et leurs avatars du XIXème siècle, je lui indique la Vierge à l’Enfant sculptée sur un chancel médiéval telle une Reine de France… bleu, marial et français, les étoiles dorées fleurdelisées, et couronne qui ceint son front… la France, Fille aînée de l’Eglise. De rire de l’orthographe française, de sa riche et historique complexité et surtout de la règle « attention, si c’est écrit c’est que ça ne se prononce sans doute pas »…
Et, attentive, curieuse, insupportable, ma Japonaise de remarquer… ces Françaises qui ne portent pas de talons hauts (bien différentes des Asiatiques en cela), ces dîner tardifs à l’heure parisienne, la propension extraordinaire à choisir toujours la terrasse plutôt que l’air climatisé quand bien même il fait 39°, la rapidité avec laquelle le métro referme ses portes et les stores baissés de tous les magasins le dimanche…
Le fascinant monument aux morts de la mairie du XVè arrondissement : comme si aux Poilus on disait
« La veuve et l’orphelin, mais aussi toute l’histoire de France vous regarde. Et vous rend hommage ».
Il y a quelque chose d’un pubis maçonnique dans ce monument à la Déclaration des Droits de l’Homme… nan, vraiment…
Ma Japonaise n’a pas décompensé*.
Ayant vécu dans des villes américaines et à Bombay, le sale elle connaît. Elle a remarqué les tables si proches, la bise de tous à chacun, elle a entendu les gueulantes sans vergogne et constaté la rudesse des gens fatigués, pressés. Et si elle a été enchantée du Paris incontournable, by day and by night, elle a aimé ce Paris qui n’est pas un cliché. Moi, j’avais cru en revenant de Bombay avoir retrouvé Paris. Je m’y étais en réalité juste réinstallée. Je l’ai cette semaine dévoré à nouveau à pleine bouche, à pleines dents, comme quinze ans avant.
Et si c’est un autre cliché de dire que l’on aime Paris, laissez-moi au moins celui-ci…
* C’est un des syndromes du voyageur que ces folies temporaires de femmes japonaises, pour l’essentiel, qui perdent pied à Paris. Le voyageur confronté à la réalité d’un fantasme pour un ailleurs (Florence, Jérusalem, l’Inde, Paris) voit ses attentes si récompensées ou bien si décevantes que sa personnalité vacille. Cela touche certaines nationalités bien spécifiques, à des endroits bien précis (les Français en Inde, les Japonais à Paris, les Européens en Italie), ce qui indique donc qu’il s’agit d’un phénomène éminemment culturel, dans tous les sens du terme. Les Japonaises qui décompensent à Paris ont cette réaction bien souvent parce que leur idéal-cliché de la ville, romantique, douce, sublime, est confronté à une réalité bien plus prosaïque, où la culture française réelle heurte de plein fouet les carcans japonais (propreté, promiscuité, discrétion). Elles sont prises en charge dans un service spécifique et escamotées (aux yeux des Français mais aussi à ceux de leur concitoyens, avoir un coup de folie, ne pas se contrôler, quelle honte pour des Japonais… d’ailleurs, on n’y parle pas là-bas de ce syndrome qui jette l’opprobre sur le pays) le plus vite possible par un interprète et l’ambassade, soucieux de cacher ces « folles de Paris ».
AMOUR!!!!!!!!!!!!!!!!!
(Pardon, c'est moi qui décompense là, mais je suis moi aussi une grande folle de cette ville, de toute cette ville - même de ce qui m'agace et m'horripile - et tes mots me parlent, me parlent...)
Je me retrouve beaucoup dans ta façon de voir Paris (avant la visite de ton amie). Et à te lire, j'aurais presqu'envie de te demander une visite guidée pour redécouvrir tous ces 'inratables' parisiens que j'évite ou ne vois plus à force de les cotoyer.
Merci pour cette jolie déclaration à une ville pas parfaite, mais tellement belle et attachante.
Comme ça me fait du bien de lire cet article... Parce que moi qui vis à Paris depuis maintenant 10 ans, je me retrouve dans tes propos. J'y vis mais à chaque fois que qu'un étranger est de passage, le fait de le guider à travers la ville me rappelle combien ces monuments historiques quasi-absents de mon quotidien font en fait partie de l'essence de Paris. Et qu'au fond, je les aime d'amour.
Tu me donnes envie de sortir là, tout de suite pour, contrairement à mes habitudes, me promener là où tous les touristes sont, au lieux d'éviter ces quartiers...
Ahaha la verrue de l'anti-Commune,oui c'est vrai peu de gens le savent,merci pour cette petite allusion 😉
Alors on la fait quand cette visite guidée?
J'ai lu "fous de l'Inde" il y a longtemps ce livre m'avait vraiment surprise,mais je ne savais pas qu'il y avait ce type de service également en France!Sont fous ces humains!
Je vais à Paris une fois par an 2 ou 3 jours,et je marche en levant les yeux,curieuse de tout détail,c'est à chaque fois merveilleux,mais je conçois que les habitants ne La voit plus avec ce regard!
Paris est très beau ! es-tu toujours fachée ?
Alors moi je ne me reconnais pas du tout, mais alors pas du tout dans ce que tu décris 😉
J'adore ma ville. Autant les coins secrets ignorés des touristes que les quartiers bobo et les lieux à touristes. Peut être est-ce lié aussi au fait que je fais pas mal de photos avec des groupes de photographes amateurs? Possible. Mais déjà plus jeune j'adorais autant me promener vers la Butte aux Cailles qu'à Montmartre. Ainsi je ne me lasse pas de la vue de Notre Dame depuis le quai de la Tournelle, ni de la pyramide du Louvre au crépuscule. Je trouve même un certain plaisir à parcourir les Champs Elysées au moment de Noël et des illuminations (sinon j'avoue que j'évite le coin 🙂 Et apercevoir la Tour Eiffel depuis l'autoroute ou le train me donne une bouffée de joie car c'est signe que je rentre chez moi 🙂
Et pendant que tu fais visiter Paris à ton amie, moi c'est à ma fille que je fais découvrir les merveilles de la ville 🙂
Le Sacré-coeur, c'est bof bof pour de nombreuses raisons... Oups, j'ai vu une image qui me rappelle le boulot 🙁
on ne voit jamais une ville quand on y habite, je trouve.
On ne fait que passer dans les rues, sans s'arrêter pour voir réellement ce qu'il y a.
Ainsi je n'ai vu l'nedroit ou est mort henri IV qu'il y a 2 ans, lors du rallye des pintades.
J'avais foulé ce sol des dizaines de fois aussi bien enfant qu'adulte et jamais je n'avais remarqué cette énorme marque au sol (une fleur de lys même je crois).
Depuis quelques années, avec les "bornes" historiques, cela incite plus à regarder et admirer laville.
Maintenant vu le reportage d'hier sur envoyé spécial, j'ai juste honte d'être parisienne et française. Apparemment c'est une destinataion connue des touristes pour :
- la mauvais humeur des parisiens
- le service déplorable dans les restaurants et café
- les anarques des prix dans ces mêmes restaurants et café
- les taxis voleurs,
- etc...
Non vraiment j'ai honte.
J'avoue un faible pour les endroits touristiques à Paris, se mêler incognito aux foules de touristes fatigués et émerveillés, c'est génial. 🙂
Wouah je suis impressionnée. Vraiment. Quel talent Julie ! Bravo.