C’est l’histoire d’une Bible qui faisait le tour du monde.
J’aime fureter dans les placards, les greniers, les mansardes. Les cartons à chapeau oubliés, les malles entassées, on en trouve encore. Je soulève les toiles d’araignée, je brosse la poussière et je me plonge dans le passé. Pas comme Yambo qui y part à la recherche de ses souvenirs, mais à la recherche des souvenirs des autres. Tout comme j’aime poser des questions aux gens, sur leur avant, sur l’avant de leurs parents, sur la mémoire transmise de génération en génération, même la poussière a une valeur dans ces cas-là.
Quand il y a des vides, certains s’arrêtent. Moi j’aime tendre des passerelles, reconstruire les ponts, combler les vides par l’imagination.
Un jour (non, ce n’était pas une nuit). J’habitais un quartier populaire de Paris, une rue méconnue en pleine commune de Charonne, un immeuble usé par les ans. Deux étages seulement. Il est arrivé que je voie l’échelle fragile appuyée à la porte du grenier et le propriétaire qui vide, jette, n’ayant que faire de ce qui s’y trouve. Il me donne carte blanche. J’y grimpe alors avec El Fennec (il est de tous les mauvais coups celui-là) et je pénètre dans le grenier.
Le paradis.
Un mannequin de couturière dans la pénombre devient la silhouette tutélaire de cette quête dans la poussière. Je soulève, regarde, touche d’un doigt hésitant ou plutôt tellement déférent qu’on en frise l’obséquiosité, comme si j’ouvrais moi, là, en plein Paris, le tombeau d’un Toutankhamon. J’ouvre, referme, déplace, avance au milieu des caisses. Bien rangé, d’un rose passé, un mobilier de poupée des années 1920, petits lits et meubles de jardin en métal, j’imagine la petite fille qui y jouait dans cette mansarde, ou une autre, inventant dans cet autre temps les histoires qui sont les mêmes aujourd’hui.
Des tas de feuillets jaunis, par centaines, j’exhume un exemplaire non relié de La Nouvelle Géographie universelle d’Elisée Reclus, édition 1910. Un rêve pour moi la géographe. Dessous, encore des papiers, des feuilles fanées, et la surprise de lire des journaux alsaciens, pamphlets, caricatures. La date de publication est pleine de sens : les mois suivants septembre 1914… Je les rassemble, les protège, avant d’ouvrir délicatement une Bible. 1858. Toute de caractères gothiques, cassés, noirs d’encre, une Bible reliée et embossée. Un rêve pour moi l’historienne.
Et l’imagination prend le pas. De l’allemand, de l’alsacien, un grenier aussi sombre que cette période de l’histoire, des jouets. On repense à une autre guerre, à une autre petite fille qui s’abreuvait de lecture et se cachait pour jouer. On se crée un monde, on recrée le passé, faute de pouvoir y mettre des visages et des noms. L’histoire-fiction.
Cette Bible est venue avec moi jusqu’en Inde, comme quelques autres livres anciens. Une hérésie quand on sait l’humidité et la chaleur, mais j’ai pris le risque. Ils n’ont pas bougé. Comme mes souvenirs.
La poussière a une valeur, même l'odeur a une valeur. C'est un véritable voyage dans le temps, dans les souvenirs ...
C'est moi ou ça cause de Bavière ? J'adorerais faire ce genre de trouvailles (mais le truc c'est qu'avec l'héritage familial, même pas besoin de chercher... tss, un drame qui sent bon le vieux cuir et le papier ancestral, hein ? ;-))
@ Nekkonezumi : oui, l'autorisation éditoriale est effectivement valable pour la Bavière (la Saxe et la Suisse aussi). Ah non mais non mais dis-moi !!! Je suis toute intriguée maintenant !!!
J'aime tellement l'idée de te voir farfouiller dans les malles, les cartons, dans le temps et l'histoire.
@ Shaya : bien évidemment, une telle expédition se prépare très en amont. J'emporte toujours avec moi une bouteille d'eau (une gourde de thé, un thermos de café et deux ou trois fresh lime soda en bouteille) et deux gâteaux (et trois ou quatre paquets de Fraises Tagada, très discrètement glissés entre une lampe de poche et un chiffon à poussière).
Magnifique post.
Lorsque j'étais étudiante à Strasbourg,j'avais récupéré les lettres d'un poilu dans la rue.J'avais été choquée que les maçons qui retapaient l'immeuble les aient laissées sur le trottoir.Il y en avait des caisses entières,en alsacien et en français.Ces quelques lettres je les ai encore et je me souviens avoir tenté d'imaginer ce gars écrivant a sa famille dans la gadoue entouré par la mort.
@ Zaneema : merci 🙂
C'est vrai ??? Mais c'est exceptionnel ça ! Tu as réussi à les lire toutes ? Cela veut dire aussi que ces lettres ont été gardées précieusement, toutes ces années, soit le souvenir de quelqu'un qui n'est pas revenu, soit conserver la mémoire d'une guerre terrible. Je me dis toujours que les ouvriers doivent retrouver des choses absolument incroyables, mais qu'ils n'ont ni le temps ni la possibilité de tout sauver, ils ont un boulot à faire et voilà.