Cela faisait un certain temps que je ne t’avais pas parlé de livres, je vais me rattraper…
Avec Retour en Inde de Patrick Boman (2009), une première évidence : la vague Bollywood a battu son plein en France, a imposé ses couleurs à tel point que le thème pictural a fleuri sur les étals de livre et de DVD, à l’envi, à satiété, ad nauseam. Trompant même parfois sur la marchandise, comme c’est le cas avec cette couverture, fort mal choisie je pense.
Ces notes de voyage, si elles ont un lien très ténu avec le clinquant de la religiosité hindoue (et de très loin encore), n’en ont aucun avec le rose Bollywood : pas de mélodrame, pas de sentiments sirupeux et dégoulinant, pas d’acteurs au rabais, pas de grands sentiments cornéliens surjoués, pas de dieux non plus (comment ça j’ai une vision restreinte de Bollywood ?…). Seuls deux personnages se font face dans Retour en Inde, comme dans les grands fondamentaux des écrits de voyage : le voyageur et l’Inde.
Mais à la différence de nombre de récits, Patrick Boman connaît déjà bien l’Inde pour y avoir effectué de nombreux séjours. Il échappe donc aux topoi de la découverte, de la fascination et de la déception, et le lecteur entre dans l’univers beaucoup plus subtil du voyageur… lassé. Fatigué. Malade. Jamais fasciné mais toujours plus intéressé. Exaspéré. Passionné surtout. Le vrai voyageur donc, ni le penseur, ni le photographe, ni l’indo-illuminé.
Car voyager en Inde, c’est souvent tomber dans une transe fascinée qui se donne en spectacle avant le voyage et se consume souvent dans les premiers spasmes intestinaux, avec des lieux communs brassés à n’en plus finir (l’Inde est un pays tellllllement zen (non, le zen, c’est au Japon…), l’Inde un pays tellement naturel (mouahahah ! L’antithèse…), l’Inde un pays où la tradition est reine (pour le pire et le pire) etc.). Patrick Boman est justement loin de tout ça : c’est un baroudeur de l’Inde chevronné, cultivé, jamais naïf. Et dans ce court récit qui note avec une minutie quasi médicale les lieux visités, les horaires, le numéro de la chambre d’hôtel ou du train, l’Inde véritable défile sous ses yeux.
Le mouvement (en train, en bus, en taxi, en rickshaw) est le lieu de la contemplation d’un pays presque statique : sur ma diagonale préférée (Calcutta-Bombay, en passant par tous des lieux méconnus que j’adore : nous avons beaucoup en commun, ce livre et moi…), Patrick Boman met des mots sur la réalité du voyage en Inde. Il refuse les digressions philosophiques pour s’attacher aux simples réflexions d’un voyageur à qui on ne la fait pas. Moins dense et moins jubilatoire qu’Alexandra David-Néel, plus posé que Marc Boulet : le principe du carnet de notes à l’écriture hachée, ne te laisse pas prendre à cette fiction du « premier jet », donne à voir un voyage en Inde dans ses moindres détails dans la perspective de « ce que je vois-entends-et-vis ce jour-là ».
Pour moi qui y vis et y voyage très régulièrement, quel intérêt de lire ces notes ? Celui de me sentir pleinement comprise : lui aussi ressent cet agacement mêlé d’excitation, cette stimulation immédiatement anesthésiée ou cette somnolence dynamisante. L’Inde est impossible à comprendre tant qu’on ne l’a pas vécue ? Oui, ça c’est encore un lieu commun mais… c’est tellement vrai ! Et pour quelqu’un qui ne connaîtrait pas l’Inde ? Et bien, c’est là où je crois ce livre atteint sa limite : je ne suis pas sûre qu’il aurait un intérêt, que ce maelström d’odeurs nauséabondes et d’épices, de rage et de douceur, de rien-ne-marche et tout-fonctionne, peut se comprendre simplement à travers les mots…
Au final, Retour en Inde parvient à rendre exactement, dans l’écriture comme dans le propos, ce qu’est le voyage en Inde : l’expérience la plus addictive et la plus exaspérante qui soit…
J'ai fait un voyage en Inde l'année dernière pour la première fois, et j'ai ressenti ces sentiments si opposés. Je suis rentrée soulagée de partir et depuis je ne cesse d'avoir envie de repartir. Je lis depuis beaucoup de livres ... Celui ci fait donc un écho et tu donnes vraiment envie de le lire. Merci
@ Delphine : c'est ce qui est étonnant avec l'Inde, attirance et répulsion que l'on éprouve tout en même temps ! De rien, j'attends avec impatience ton avis !
[...] L’avis de Chouyo [...]
Tu m'intrigues avec ce bouquin !
@ Nekkonezumi : il est assez particulier, je dois le dire ! Un peu répétitif, mais au final il parvient à très bien rendre compte de ce qu'est un voyage en Inde.
A chaque fois, tu donnes vraiment envie de lire tous les livres dont tu parles, et particulièrement celui ci qui n'est pas un roman, mais une expérience de voyage, ce que je trouve très intéressant, tout comme ton point de vue et ta façon de voir les choses. Encore un livre qu'il faut que je me procure!
au fait, j'ai trouvé "Eat india" mais en effet, il n'est pas traduit, il n'existe qu'en anglais.
@ Spike : oui, "Eating India" n'est qu'en anglais (et c'est bien dommage, c'est un livre qui mériterait d'être traduit !). Je pense que tu vas reconnapitre plein de choses dans celui-là, peut-être un peu trop c'est ce qui fait que je n'ai pas été non plus absolument enchantée : c'est un peu bizarre...
(Il faut absolument que je m'occupe de tes billets d'avion !!!)
J'ai déjà entendu cela sur l'Inde "addictive et exaspérante".
Je ne connais l'Inde que par sa littérature (mais pas forcément dégoulinante) et sa danse (enfin une danse le Baratha Natyam) et je dois dire que c'est bien les livres des auteurs indiens qui ont vraiment su éveiller ma curiosité et mon envie pour ce pays.
@ Bulles d'infos : effectivement, la littérature indienne n'est pas nécessairement dégoulinante, hihihi ! Il y a eu des publications un peu opportunistes ces dernières années, je trouve, mais il y a aussi d'excellentes choses, plus anciennes mais aussi récentes. Si cela t'intéresse, j'ai regroupé les billets sur les livres indiens sur mon autre site : http://www.passagetomumbai.com
C'est un peu de ça dont j'ai peur, quand je lis un livre qui parle d'un autre pays : qu'on m'en donne une vision vraiment faussée, de carte postale, ou de fan ! Mais bon, ce n'est toujours que la vision de l'auteur, dans tous les cas.
@ Kahlan : là, il ne donne pas du tout une image faussée justement, elle est absolument juste et exacte, c'est ce qui en fait tout l'intérêt mais c'est aussi ce qui peut se révéler un peu bizarre, parce que voyager en Inde n'est pas aussi "marrant" que ce que l'on peut croire avant d'y venir.