*** Attention, spoiler inside***
Avant toute chose, sache qu’à aucun moment les personnages ne sont amenés à déguster la fameuse tourte aux épluchures de patates. En ce sens, le roman est déceptif : tu sauras juste que sa pâte est faite d’épluchures de patates, donnant du croustillant à un mets de fête en temps de guerre ; de même, on ne parle pas beaucoup de littérature. Car il faut dire que la tourte aux épluchures de patates, c’est la métaphore plus ou moins subtile du cercle littéraire, ou comment les moins cultivés, les moins susceptibles de lire et d’évoquer leurs lectures sont ceux qui amènent son croustillant à la critique littéraire…
Le Cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates de Mary Ann Shaffer et Annie Barrows est un roman épistolaire construit autour de la correspondance échangée en 1946 entre Juliet Ashton, écrivain londonienne célèbre pour sa rubrique ironique pendant la guerre, son éditeur, ses amies et les différents membres de l’improbable cercle littéraire de Guernesey. Le prétexte est un article qu’elle doit rédiger sur les bienfaits de la lecture, qui débouche sur l’intérêt de Juliet pour ces gens et leur histoire : un porcher, un fermier, une « rebouteuse » (?) qui, au fil de leurs lettres évoquent leur venue à la lecture mais surtout l’entraînent dans l’histoire bien plus intéressante de Guernesey sous l’Occupation.
Bien sûr, tout ceci est lisse et presque trop facile : comme le lecteur s’y attend, au fil des lettres l’amitié et l’intérêt personnel croissent et l’article n’est même plus évoqué. Les rencontres qui s’ensuivent sont nécessairement fortes d’émotions, presque des retrouvailles, loufoques aussi parfois pour conserver la légèreté de ton, et tout ceci fonctionne puisque chaque personnage est archétypal, presque prévisible. L’ombre ne manque pas, avec ce personnage en creux qui se dessine au fil des lettres, Elizabeth McKenna, déportée dans les camps et dont on attend le retour. Femme intelligente, fine, cultivée, elle a tout de celle qui fascine et qui manque, et vient à constituer progressivement le sujet principal des lettres échangées et le coeur du livre que Juliet se décide finalement d’écrire. Pourtant, pas plus que Juliet Ashton Elizabeth n’a d’épaisseur, alors même que la première est l’expéditrice et la récipidendaire de presque chacune des lettres de ce roman, et que la seconde est à l’origine de ce Cercle littéraire, celle qui lie les personnages entre eux, celle qui relie encore et toujours Guernesey aux Allemands.
Car le seul personnage palpable du roman est la Seconde Guerre mondiale, au centre de toutes les intrigues, au coeur de toutes les relations, l’alpha et l’oméga. La guerre dans Londres tout d’abord, épisode qu’il est bon de rappeler parfois aux Français, cette ville dévastée, ruinée, résistante toutefois. Bombardée, mutilée, ses maisons éventrées continuant à se dresser, ses habitants veillant jour et nuit, tendant l’oreille ou grappillant qui une chaussure, qui un peu de pain. Londres sortie de la guerre aussi, encore exsangue voire plus que pendant la guerre !, où l’achat de la première robe neuve ou d’une paire de chaussures que l’on n’imaginait même plus en rêve est une fête inouïe.
Encore plus méconnue, l’occupation des Îles anglo-normandes par les Allemands constitue le véritable intérêt du Cercle littéraire des amateurs… : les exigences de l’occupant bien sûr, les réactions de cette petite population totalement livrée à elle-même, la déconnexion du monde entier et l’horreur quotidienne des travailleurs forcés. Un pan entier de l’histoire, à quelques miles de nos côtes, qui apparaissent pour leur part dévastées après guerre, sous les yeux d’un habitant de Guernesey qui prend alors la mesure des dernières années.
Là est l’intérêt du livre, et non pas dans l’historiette mignonne et légère qui se noue entre les personnages, crédible mais sans grand intérêt (une femme, Juliet, indépendante et volontaire, qui se découvre émue par les destins singuliers de cette île et notamment par son alter-ego, Elizabeth), d’autant plus que, plus ennuyeux à mon sens, les lettres pâtissent d’une similitude de ton, du même style enjoué et plein de mordant. C’est bien dommage, car un roman épistolaire n’a de sens que lorsqu’un style propre à chacun des personnages transparaît.
Une lecture agréable, une intrigue sympathique, mais ce roman manque de profondeur littéraire. Il donne finalement surtout envie de se replonger dans les archives de l’Occupation.
beaucoup de buzz autour de ce livre mais aussi pas mal de personnes déçues à sa lecture (c'est le risque non?)
je t'invite à un petit concours chez moi..j'avoue que j'aimerais bien avoir une version indienne de réponse )...du court c'est possible (mais j'ai l'impression que tu n'aimes pas ça?)) si tu es ensevelie sous les occupations...
@ Chocoladdict : je n'en avais pas entendu parler (je devais déjà être partie de France ?). J'ai vu ton concours, je vais voir ce que je peux faire pour y participer !
Tout à fait d'accord avec ta vision de ce livre.
@ Madame Kévin : pas décevant, mais pas grandiose non plus en fait...
Je l'ai lu cet été. Bon roman de plage...
@ Sophie L : voilà, un bon moment, idéal pour l'été.
[...] L’avis de Chouyo [...]
J'ai hésité à l'acheter ce livre. J'aime bien le titre.
@ Marlène : moi aussi, le titre m'avait beaucoup plu ! Mais je m'attendais à quelque chose de plus drôle, de plus original voire délirant.
Ton post est délicieux. Ma soeur l'a déjà lu, je vais le lui choura.. euh.. emprunter ! : )
Sinon Jean-Baptiste Botul il fait partie de ce cercle?
@ M1 : c'est une lecture qui détend mais cela ne va vraiment pas plus loin. Et arrête d'embêter ta soeur, tsssss 😉 !
Héhéhéhé, marrant, j'ai lu quelque chose sur Botul aujourd'hui aussi... En tout cas, il n'en est pas fait mention. Mais BHL appartient évidemment au cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates...
BHL appartient à un seul cercle, celui du #FAIL : )
@ M1 : hihihi !
C'est vrai que j'ai appris certaines choses de l'histoire en lisant ce livre, qui m'étais jusqu'alors inconnus.
@ Faustine : oui, tous les éléments sur l'histoire de Guernesey sous l'Occupation sont très intéressants !
J'étais tombée en arrêt devant le titre. C'est obligé, on ne peut pas ne pas être interpelé/curieux devant une telle trouvaille. J'ai lu la quatrième de couverture et je l'ai reposé sur son rayon. Le sentiment diffus que le contenu ne serait pas à la hauteur sans bien savoir pourquoi. Tu viens de confirmer que j'ai sans doute bien fait, merci !
@ La Blonde : le titre est excellent, je suis tout à fait d'accord ! Je pensais que ce serait beaucoup plus drôle, enjoué, mieux écrit surtout.
Je l'ai pourtant bien aimé ce livre. Bien sûr les personnages comme tu dis sont un peu stéréotypés, par contre ce que j'ai apprécié c'est comment, uniquement par le biais de lettres, les auteurs ont réussi à rendre les personnages "vivants". Or normalement je fuis les livres qui sont à base de correspondances.
@ Maman au secours : je n'aime pas beaucoup les romans épistolaires non plus (à l'exception des "Liaisons dangereuses", mais qui n'est pas un livre facile à aborder), mais j'ai trouvé justement qu'ici le procédé était trop facile. En tout cas, c'est un livre qui permet de passer un bon moment, ça je ne le nie pas du tout, cela détend agréablement !
J'attendais qu'il sorte en poche pour l'acheter. Maintenant, j'hésite ... Je verrai.
@ Nane : je dirai que c'est une lecture de vacances, qui détend bien mais n'appore pas grand-chose.
Je te trouve un peu dure avec ce roman mais peut-être cela vient-il aussi du fait que l'on en a tellement parlé qu'on s'attend parfois à mieux... Je trouve au contraire qu'Elizabeth est par son absence, le personnage le plus important, et c'est sans doute le personnage qui m'a plus émue ; je n'ai pas ressenti comme quoi ce côté stéréotypé, je trouve au contraire que la variété des personnages évite cet écueil. Bref nous avons deux lectures bien différentes, mais c'est ce qui en fait la richesse...
@ George : en fait, je n'en ai jamais entendu parler !!! Je n'étais plus en France quand il est sorti, je n'écoute pas la radio et dans les journaux je n'ai rien lu à propos de ce roman. Même sur les blogs d'ailleurs (la première à en parler dans mon entourage, c'est Ckankonvaou il y a un mois à peu près et elle ne développait pas vraiment).
J'ai trouvé justement le procédé extrêmement facile et cousu de fil blanc, simpliste même, de faire apparaître en creux progressivement le personnage d'Elizabeth, comme "auréolée" (procédé encore plus simpliste) de la déportation dans les camps. Quant aux personnages, ils sont variés mais correspondent tous à un stéréotype.
Effectivement, nous n'avons pas le même avis 😉 !