L’Inde est un pays qui génère de très nombreux lieux communs. Il ne faut pas se voiler la face.
Le plus galvaudé (et le plus fallacieux sans doute) est : l’Inde se situe entre tradition et modernité. Je sais : ça fait mal aux yeux, on croirait lire une dissertation de première. Un plan-type à ressortir pour n’importe quel sujet, n’importe quel pays, quand on manque d’inspiration et de réflexion. Mais j’ai mieux encore : l’Inde, entre permanences et mutations. Là, c’est le titre d’un manuel scolaire, non ?
Enfin.
Un autre poncif éculé ? L’Inde, terre de contrastes. Et aujourd’hui présentement là tout de suite j’ai envie de sauter dedans à pieds joints. Pour fêter de cette manière l’ouverture des votes à partir de demain pour le concours « India Folaïes 2 » par exemple, ou encore pour fêter le début d’un festival de la France en Inde, « Bonjour India » (dont la présentation à travers les médias a accumulé TOUS ces poncifs, avec un doublé historique puisqu’ils portaient sur l’Inde et la France en même temps. Heureusement, la programmation est intéressante.
Ou pour évoquer tout simplement l’arrivée coïncidente de trois choses, le même jour, qui m’ont laissée songeuse.
Le courrier qu’envoie ma banque indienne est remis en main propre par un coursier, mandaté par une entreprise qui colle sur l’enveloppe des annonces pour des emplois qu’elle propose, fenêtre ouverte sur le monde des salariés indiens qui ne sont ni des chaiwalla de 8 ans, ni des ramasseurs de bouts de métaux, ni de gros pontes d’entreprises avec énormes bagues et bénéfices terrifiants. Un petit employé, donc. Celui qui a finit le collège, voire le lycée, qui sait lire et écrire, et qui tente de s’assurer un bout de macadam dans cette ville.
Quoi, qui, combien ?
- les postes proposés : coursier / standardiste / vendeur / employé administratif / support informatique / service client.
- pour poser ta candidature : CV + photocopie de la carte de rationnement (locution d’un autre temps croirait-on) + diplômes de fin d’étude + 2 photos + autres diplômes.
- les diplômes requis : brevet / bac
- les plus : Sécurité sociale et versement retraite (ESIC et PF), pourboires, bonus et autres primes
- salaire mensuel : 60€ pour le coursier ; 70€ dans la partie administrative ; 80€ pour le cadre du service clients. Par mois, absolument.
…
Rapportons ça aux prix de la vie quotidienne à Bombay pour ledit salarié :
- 1 pièce de 15m² dans un bidonville du Sud (accès partagé à l’eau, à l’électricité et aux toilettes) : 30€ par mois
- dépenses alimentaires achetées en gros chaque mois (famille de 5) : 40€
- 1 pass mensuel de bus : 7,5€
- 1 place de cinéma (Sud) : 0,90€
- 1 roman (500 p.) : 6€
- 1 journal anglophone : 0,03€
- 1l de lait : 0,20€
- un thali (repas complet à volonté) : 0,75€
- un doughnut : 1€
- 1l d’essence : 0,75€
- en plus ? L’école des enfants, les vêtements, les ennuis de santé etc.
…
Enfin, l’autre côté, l’autre visage de Bombay. Celui qui transparaît derrière une annonce transmise par mon agent immobilier.
A VENDRE : 3 pièces (2BHK), 100m², parking. Prix : Rs 5,50 crores.
Oui, je sais bien, c’est quoi les crores ? 1 crocre = 10 000 000 roupies. Ce qui fait donc un prix de vente de Rs 55 000 000, donc 800 000€. 8000€ le m². L’appartement est situé dans un quartier dit huppé de Bombay, ce qui signifie dans la réalité : de l’ancien rénové dans des immeubles pas vraiment flambant neufs (ce n’est pas le VIIème et de très loin), embouteillé presque en permanence, où les trottoirs le soir se peuplent de dormeurs des rues. Bombay, donc.
…
La délicieuse Ramona Narang Rodella (qui est-ce ? aucune idée !) a lancé une ligne de vêtements et j’apprends dans le journal que, même si ses propres dépenses en cette matière dépassent le PIB d’un petit pays (la Suisse ?), tous les prix sont compris entre 150€ et 300€. Ouf ! Au-delà, sa clientèle aurait du se restreindre un peu…
…
Un nouveau maire a été élu à Bombay, une femme de nouveau (l’Inde affectionne particulièrement de placer des femmes à sa tête, tout en les opprimant au quotidien partout ailleurs) : Shraddha Jadhav, issue du Shiv Sena (un parti aux ambitions et aux méthodes des plus respectables) et haussée à cette fonction par l’alliance de ce parti avec le BJP (tout aussi respectable).
Son premier cheval de bataille ? Faire payer des impôts à tous les résidents illégaux des bidonvilles de Bombay.
Elle ne dit pas si en contrepartie elle s’inquiètera de leur fournir l’eau courante, l’électricité, la voierie, les services publics et les soins auxquelles n’importe quel contribuable pourrait s’attendre.
Photo trouvée ICI.
ils élisent des femmes, mais elles sont gratinées, dis donc! (c'est pour pouvoir renvoyer les autres au foyer -sans jeu de mot, non non- avec une bonne excuse?)
t'as failli me faire rêver, avec ton 100m² à Bombay... (jusqu'à ce que je vois le prix au m², en fait... je peux pleurer?)
@ Daydreamer : en fait, il y a des femmes élues (quand même un certain nombre, plus qu'en France, ça c'est sûr) mais beaucoup sont aussi désignées par leur parti pour prendre une fonction. Et bizarrement, les partis aux idéologies les plus crasses, nationalistes, particularistes etc. ne sont pas les plus mysogynes !
L'immobilier à Bombay, c'est une horreur je t'avoue : les prix sont absolument dingues à partir du moment où tu cherches quelque chose de juste fonctionnel (n'allons même pas regarder du côté du "avec goût" ou "magnifique et aux finitions splendides") !
Ah oui, le prix au mètre carré est assez impressionnant...
@ Kahlan : et à la location, les prix sont dingues aussi (surtout dans le Sud de Bombay).
Ce sont certes des lieux communs, mais cela ne veut pas dire que c'est faux, si? Dit comme ça forcément, c'est juste super banal c'est sûr.
Les quartiers huppés à Bombay, c'est où? parce qu'il parait que Malabar Hill c'est huppé: j'y suis allée en me disant: "ça doit ressembler à Beverly Hills, c'est sûr!"
Tu parles. La déception: immeubles moins vieux qu'ailleurs peut être mais très vieux quand même et moches... c'est quoi la haipe? Et pourquoi cette ville est hors de prix par rapport à ailleurs????
@ Spike : non, bien sûr ! Mais souvent, on se cache derrière des lieux communs, un raccourci de la pensée, pour ne pas trop réfléchir. Mais justement, comme je le fais aujourd'hui, parfois cela aide bien et cela rend compte exactement de ce que l'on veut dire (alors je m'interroge comme toi dans ces cas-là : ce lieu commun est-il vraiment juste ?). Et le lieu commun a ce gros inconvénient d'être un concept figé : il ne tient pas compte, ou fait semblant, des évolutions et des nuances, ou alors il les masque.
Bravo !!! Cet appartement est effectivement à Malabar Hill ! Tu connais bien Bombay dis donc, tu étais restée combien de temps ? et quand ? Effectivement, on en parle comme d'un quartier huppé et la déception est réelle : c'est un ensemble d'immeubles vétustes où s'intercalent des masures et des bidonvilles, comme ailleurs. On le dit huppé surtout parce qu'il y a quelques résidences officielles.
Le prix de l'immobilier à Bombay ? Le manque de place et la corruption, je pense. Une ville dont la population croît à vue d'oeil et qui ne fait pas les investissements nécessaires en matière d'infrastructures et d'immobilier à bas prix (il y a des projets actuellement mais quand seront-ils en place ?) parce que les lenteurs administratives et les pots-de-vin à des entrepreneurs véreux qui ne finissent pas leurs projets ralentissent considérablement les choses. Et puis tu as aussi les entrepreneurs qui rasent des bidonvilles pour construire d'immenses tours modernes pour y loger dans des appartements gigantesques deux ou trois personnes. Ce qui est aussi le cas dans les vieux appartements des quartiers plus cossus, qui restent abandonnés ou vides, sans loger personne ou juste un couple. Soit parce que les gens n'ont pas les moyens de louer à de tels loyers, soit parce que les gens ne veulent pas louer leur appartement. Enfin, la vétusté des bâtiments et des appartements qui fait que l'offre n'est finalement pas si importante que ça, et que par exemple pour les expatriés les appartements proposés sont toujours un peu les mêmes.
Pourquoi élire une femme avec de telles idées ?
@ Miss Brownie : en réalité, elle n'a pas été élue, mais désignée par son parti très bien placé aux dernières élections municipales, qui a donc avec cette alliance avec le BJP pu remporter la place de maire. Ensuite, pourquoi les Bombayites ont donné leur voix au Shiv Sena, au MNS et au BJP ? Resserrement identitaire, régionalisme, frilosité en temps d'inflation, rejet des problèmes endémiques à Bombay sur les immigrants venus "voler le travail" des Bombayites etc.
C'est une terre de "contrastes" : )
entre tradition et modernité, entre permanences et mutations, terre de contrastes et autres dauberies intellectuelles à la Kouchner sont généralement servies aux pays soudev que personne ne veut fâcher et leur dire que quelque part, ils sont un peu féodaux !
Vu les salaires, m'étonne pas que des enseignes comme Zara délocalisent en Inde, même Isabel Marant fabrique une bonne partie de ses collections en Inde, officiellement pour "l'inspiration" ...
Putain 8000 euros le m²??? mais c'est 2000 euros plus cher que le m² dans l'Avenue des Dictateurs à Paris !!
@ M1 : en une phrase, on arrive à tous les dire, "l'Inde, cette terre de contrastes qui a toujours su intégrer les mutations de la modernité dans la permanence de ses traditions...". Pouf pouf pouf...
Oui, effectivement, c'est une manière de cacher que l'Inde est un pays médiéval sur un grand nombre d'aspects (féodalité, ordalies etc.) ce qui constitue en fait un très bon point côté tourisme : car que vient-on y chercher si ce n'est ça, les sourires de ces enfants des rues sales, ces femmes lourdement harnachées de bijoux (leur dot) ou encore ces campagnes où tout est fait à main d'homme... Ce qui est drôle, c'est de lire des articles où les journalistes indiens parlent avec des hommes d'affaire occidentaux, qui sont rarement sortis de leur hôtel de luxe pendant les quelques jours de voyage d'affaire, et qui rapportent des choses du genre : "oui, l'Inde a nettement avancé sur la voie de la modernité, tout fonctionne de mieux en mieux, les gens parlent anglais etc.". Mouahahahahah !
Je sais même où Isabelle M. et autres se procurent leurs vêtements en cuirs... héhéhé... Antik Batik également d'ailleurs, et quand tu vois le prix de revient, pfiou, ils auraient tort de s'en priver vue la marge ! De ce fait, je ne te raconte même pas le nombre de copies que je suis en train de faire faire...
Oui, les prix de l'immobilier à Bombay sont dingues, réellement. Je pense que pour notre appartement, on paierai moins cher ou au moins pareil à Londres pour la même chose !
Ce qui m'avait choqué une fois c'était un article d'un journaliste pour qui des personnes de basses castes mortes sur le trotoir et enjambées par les passants était un "must see" !
Tu vas ouvrir ta propre boutique Isabelle Marant? : )
@ M1 : oh dis donc, même pour l'Inde c'est osé comme article (journaliste indien ou non ?) ! En même temps, si tu veux résumer "l'Inde qui avance", "l'Inde qui se modernise", c'est vrai que c'est LA scène qui fait le mieux comprendre les choses. A tous points de vue.
J'hésite encore, je ne sais pas, il paraît qu'il y a d'excellents bijoutiers aussi, alors pourquoi ne pas plutôt me lancer là-dedans, hihihi... Pour l'instant, je fais copier des pantalons, des tuniques et des chemises pour moi toute seule (je suis comme ça 😉 !). Mais un jour peut-être que je développerai une section "harem pants" sur ce blog...
Au lieu commun "L'Inde, entre tradition et modernité" V. S. Naipaul à répondu indirectement (dans L'Inde : un million de révoltes):
"L'Inde est quelque chose entre cesser d'être et commencer à exister".
Pour avoir lu ce livre à Benares, j'ai trouvé cette phrase d'une justesse fulgurante.
@ El Fennec : voilà, mais là c'est beaucoup plus intéressant (notamment à Bénarès...), qui résume bien le pays, l'état du pays, son patrimoine, sa nature etc. Qui ne cesse de se construire en se déconstruisant. ... La "trimurti", en fait : Brahma, Vishnu, Shiva... Oh bon sang, hihihi !
Beau sujet pour le bac de géo :
"Brahma, Vishnu et Shiva à l'oeuvre dans l'Inde contemporaine." 3h
@ El Fennec : en même temps, tu leur as déjà donné les trois parties, t'es pas drôle !
Pinaise...
Comme dit Day, elles sont gratinées les bonnes femmes élues...
Désignées en fait, mais cela ne les empêche pas effectivement d'être gratinées, héhéhé !
(Hmmmm. Cela me donne faim tout ça...)
Je ne sais pas s'ils vont te recruter au Guide du Routard.
Je pensais au poncif "terre de contrastes" en lisant le début de ton article : et bien sûr, tu ne m'as pas déçue, tu ne pouvais pas rater ça !
@ Madame Kévin : oh non, moi qui espérais tant ! Hihihi...
Je suis sûre qu'il y a encore plein, il faudrait que je les note (juste pour essayer de ne pas trop tomber dedans ou au moins me rappeler que je suis en train d'énoncer un poncif).
Dynamisme et stabilité. Ouverture et isolationnisme.
En fait, tous les oxymores.
Libertés et contraintes dans l'Inde contemporaine...
On est dans le coeur du sujet entre l'offre d'emploi, l'annonce immobilière et l'élection politique, tout ça c'est très représentatif d'une Inde en pleine mutation, heu non, d'une Inde mystérieuse, pleine de contrastes. Non, je déconne.
Ma belle-soeur est expatriée depuis de nombreuses années et à chaque mutation elle se renseigne sur les indicateurs tels que l'immobilier, le salaire moyen et les prix de consommation courante. C'est souvent dingue le décalage qu'il peut y avoir. Est-ce que ce sont les expatriés qui font monter à ce point les prix ?
@ Mamzellescarlette : mouahahahahah ! Le mystère de la mutation des contrastes de l'Inde, oui, je vois ce dont tu veux parler 😉 !
Oui, de ville en ville, de pays en pays, on ne s'attend parfois pas à certaines choses : pays très riche mais coût de la vie très bas, pays très pauvre et coût de la vie très élevé etc.
Le prix de l'immobilier n'est en fait pas lié aux expatriés, même si ceux ne payent pas les mêmes prix que les Indiens pour un même appartement. C'est plutôt comme je le disais au-dessus, une offre qui s'est raréfiée, une qualité médiocre du bâti et des appartements, l'absence d'infrastructures et d'investissements et puis un peu de corruption aussi...
1 Doughnut à 1 euro ?? Mais c'est le même prix qu'à Paris, quasiment...
Dingue...
@ Manu : le cours du doughnut est super élevé ici, ça craint ! Non, en fait, tout ce qui touche aux produits à l'occidentale est extrêmement cher comparé aux prix indiens, c'est-à-dire qu'ils sont aux prix européens pour nous (genre un carpaccio de boeuf (ouiiii, du boeuf !!!) à 8€, un cappucino à 2€) mais cela ne concerne bien sûr que les endroits où ce genre de nourriture et de produits sont vendus, donc des lieux pour le haut de la classe moyenne ou l'élite économique, qui se sont énormément enrichies et qui consomment comme en Occident : et là, quel que soit le coût réel de production, le prix est à l'occidentale. Je pense même qu'il y a le même effet que sur certains produits en Chine (téléphonie, photo...) : si ce n'est pas cher, aux prix européens, c'est que c'est nul. Si tu te balades avec un truc cher, cela veut dire que tu as de l'argent etc. Heureusement, pas de folie du luxe en Inde, à la différence de l'Asie de l'Est. Louis Vuitton, Chanel, Dior essaient de percer, on attend toujours...
dis c'est absolument désespérant non? je viens d'aller voir de plus ton article sur le parti de cette délicieuse mairesse de Bombay qui n'a pas l'air d'avoir été élue pour ses qualités politiques et intellectuelles... une sorte de Giuliani à l'indienne?
@ La Pythie : hello Pythie, je réponds à ton mail quand je vois le début du commencement du bout de ce que je dois encore faire pour dans les prochains jours (c'est pas super clair...).
Oh oui. L'Inde est exaltante et exaspérante (c'est un beau lieu commun, encore), et politiquement c'est le pays qui te fait devenir marxiste dans l'âme. Même Tac. Quant à la nouvelle maire, et surtout la couleur de l'Assemblée, je t'avoue que nombreux sont les Bombayites à regarder cela avec méfiance voire inquiétude...