J’ai des habitudes assez canines.
Je fais par principe confiance aux gens, et cela occasionne de belles rencontres. Je les sais plein de richesses, je les devine passionnants, je me doute que comme chacun ils ont des failles et des cicatrices. De courte durée dans un bus ici ou dans un marché ailleurs, de longue durée avec les aspérités de la vie et les kilomètres que les occupations de chacun dressent entre nous, les relations se tissent et se maintiennent.
Dans ce réseau de personnes, je ne fais pas de hiérarchie. Il n’y a pas de meilleur(e) ami(e) mais il y a des meilleurs amis. Nos histoires sont mêlées depuis plus ou moins longtemps, mais chaque retrouvaille confirme la confiance mutuelle, et à quel point une relation d’amitié est simple. Quoique distendues par la quantité de travail, le besoin de s’isoler, les pleurs d’un bébé ou ceux d’une thèse à finir [arrivée à un certain point de rédaction, une thèse pleure, j’en suis sûre…], les priorités de chacun sont légitimes et j’ai pour habitude de ne pas demander de comptes, tout comme je n’en rends pas. La vie est suffisamment complexe et exigeante pour ne pas se justifier ou demander de le faire auprès de ceux que l’on considère comme des proches : si le téléphone n’a pas sonné depuis plusieurs mois, ces amis ou moi aurions nombre d’explications mais aucun d’entre nous n’en a besoin.
Nous savons pouvoir appeler à l’aide ou resurgir de l’eau n’importe quand. Nous savons qu’il y a entre nous cette précaution que donne une certaine tendresse pour le monde.
J’ai des habitudes assez canines disais-je.
Et si je sautille et fais la fête à ceux que je rencontre comme autant de chances de découvrir et d’apprendre et de me relier encore un peu plus à l’humanité, il est des indélicatesses qui en une micro-seconde me refroidissent. Elles ne me sont jamais adressées directement, mais à d’autres, présents ou non. Ou bien elles commentent une situation en la tournant de telle manière que surgissent le drame et les récriminations. Mon premier mouvement est toujours de me dire que j’ai mal compris, mal interprété, mal entendu. Que tout un chacun peut être amené à critiquer son entourage et que cela ne traduit rien de plus que l’agacement créé par la promiscuité.
Mais il y a une autre indélicatesse, une autre une indiscrétion, un autre jugement à l’emporte-pièce. Une leçon distribuée dans le dos, « qu’est-ce qu’il faut être con pour« . Ou un moment très anodin que bouscule l’impératif de passer avant tout le monde, de s’asseoir-à-cet-endroit-rien-à-faire-de-ce-que-veulent-les-autres, en assenant sans attendre « Ah moi, hein, il faut que je… sinon…« .
L’effet est rédhibitoire. Et définitif.
Comme une tape sur le museau d’un chien. Je ne suis pas la cible des remarques, mais indirectement je lis une manière de voir la vie, les relations humaines, ses exigences. Et je ne peux et ne veux gérer cela.
Et comme le chien, je me mets à contourner, m’éloigner, éviter. Envisager le monde avec aigreur contamine et donne le poil terne. Fonder son être-au-monde sur les leçons à donner tout en prétendant rester neutre rend la truffe chaude et sèche. Multiplier les « Moi je veux et je n’ai jamais » de quelque manière que ce soit fait s’étendre l’eczéma aux coussinets.
Le chien qui reçoit une tape sur le museau ne mord pas. Il ne saute pas au cou, il ne demande pas de comptes. Il sait à quoi s’en tenir et il passe son chemin. Quand j’entrevois dans de multiples situations une personnalité se révéler sous un jour qui me heurte, je suis triste pour cette personne mais ne souhaite pas la changer car ce n’est que mon point de vue. Et l’on ne doit et ne peut changer les autres.
Mais comme le chien rabroué, je m’éloigne et laisse vivre l’autre selon son gré.
Jeff Koons, « Balloon Dog » et « Cat on a Clothesline ».
Salut,
Il est bien ce billet sur l'amitié... J'ai pensé à Touffe, à la montagne, aux ballades... Au temps d'avant...
Ce genre de commentaire est sans doute trop perso, mais je n'ai pas d'autre moyens de te contacter.
J'espère que tu me liras. Je viens à Paris de temps en temps. Peut-être que tu serais contente de me voir. Moi oui en tout cas...
Salut.
Sais-tu bien, Chouyo, que Jacques Nicolaou - 'Placid et Muso' - est un mien cousin ?
Rien à voir avec les ballons de Jeff Koons (si ce n'est lui, c'est bien imité).