J’ai pris une habitude au lycée, celle de travailler dans les cafés.
Il y a un tel cliché ici, qui m’est tombé dessus non en arrivant à Paris mais dans une minuscule ville de province, que l’on finit souvent par y voir seulement la volonté de se conformer à une tradition bien rodée et mise en scène, celle germanopratine d’écrivains et philosophes lisant, écrivant, devisant au Flore, aux Deux Magots, à la Closerie des Lilas. Pourtant bien avant eux, c’était Balzac et son inséparable cafetière, encore avant les philosophes des Lumières passant du salon au café, et d’autres encore… Alors, peut-être y a-t-il un tout petit peu plus dans cette association lieu/breuvage/réflexion/écriture qu’une pratique pour-faire-genre ?
Pour ma part, c’est une chaise dos au mur ou une banquette. Une table ronde le moins possible, plutôt un rectangle pour quatre. Du monde autour, qui bavarde et s’interpelle, et la radio en fond. Voici très exactement ce que je vois quand je ferme les yeux et que j’imagine le lieu idéal pour travailler, étudier, écrire ou apprendre.
Au café, jamais de roman. Je n’ai pas la lecture-loisir dans les cafés, je préfère de loin mon lit pour cela, alors ce sont des lectures de révision, des centaines de sinogrammes, des corrections de copies, un essai d’ethnologie ou de la philosophie politique. Parfois des articles scientifiques ou des revues un peu sérieuses, tout ce qui exige en fait une concentration précise, un petit cahier ouvert, un stylo qui s’agite.
Au café, jamais en terrasse. Les tables y sont plus petites, collées les unes aux autres, on s’y bouscule plus, et il faut le dire, les conversations n’y sont pas les mêmes. Je ne suis pas là pour prendre le soleil, pour faire semblant de lire, pour regarder passer les gens, ou pour montrer mes jambes. Je suis là pour me plonger dans mon monde à moi, mais j’ai besoin d’être à l’extérieur pour ce faire… logique… Alors, quel que soit le temps, je préfère être en salle : collée à la fenêtre si possible, un oeil sur le monde, un autre sur mes feuilles, de la luminosité et la protection d’un lieu clos. Une sorte d’ouate confortable, à la lisière de l’extérieur et pleinement à l’intérieur. Le café est pour moi un seuil.
Un café, ce n’est pas un endroit pompeux ou à la mode. Pas de dorures, pas de m’as-tu vu, pas de regarde-moi-donc : le lieu ne doit être ni guindé, ni couru. Actuellement, on trouve un excellent café dans les jeunes cafés branchouilles (et anglophones) de Paris, et pourtant il est impensable d’y amener de quoi étudier : on y vient pour être vu et entendu. Le PMU du coin de la rue ou le petit café de quartier (à 1,20€ en plein Paris à côté de chez moi) me convient précisément parce que l’endroit est anodin. Et s’il est vivant, je n’y viens pas chercher la fameuse tranche de vie dont d’autres s’inspirent : je viens pour me concentrer que diable ! Oui. Je m’installe donc dans un café pour m’extraire du monde… toujours aussi logique…
Un jour où il n’y avait personne dans les rues… j’ai souscrit à la terrasse. Un jour. Et je suis vite repartie.
Et il y a le son. Le café est un lieu de passages et de bruits. Le patron parle fort, les piliers aussi, on s’y invective parfois, on y converse plus ou moins fort près de moi. Les choix musicaux y sont terrifiants, et de plus en plus l’image d’un écran sportif gigote dans un coin. L’antithèse de l’environnement de travail diraient certains, et pourtant c’est le contraire ! Aucun de ces bruits ne m’est destiné ou ne me concerne : je ne suis pas sollicitée, cela devient un bruit de fond, comme ces morceaux que l’on écoute sans écouter, qui nous mettent dans un état second sans perturber notre travail. C’est bien plutôt le silence studieux qui me met aux aguets : j’ai fréquenté nombre de bibliothèques, et des plus belles et des meilleures, comme employée ou étudiante, j’y ai passé des heures tôt matin jusqu’au soir (à Paris, certaines sont ouvertes très tard), mais je n’y ai jamais été aussi concentrée que dans un café.
Et je dois d’ailleurs dire que j’ai toujours trouvé extrêmement inconfortable dans les bibliothèques…
… l’absence de tasse à café.
Car il y a du rituel là. Cette tasse à portée de main, dont je laisse doucement refroidir le liquide brûlant. Je la place à droite de mes notes empilées, de mon cahier, elle clôt mon champ de vision alors qu’à gauche est entassée la pile de livres. Voici ce qui me met au travail. Pas de Wifi, pas d’ami ou de collègue venant à passer, seule avec mes lectures, mes révisions, mes cours. Le monde environnant, la tasse à café qui fait lien, et moi.
La qualité du café ? Elle n’importe pas, ici. Au début, je n’avais aucune idée de ce qu’était un bon café à mes papilles : le goût se forge et se forme sur la durée. Et désormais, je ne demande pas la lune quand je sais ne pas pouvoir l’avoir : il faudrait que tous soient formés pour utiliser leur machine, la régler, choisir le café et l’eau adéquats. Pour déguster du bon café, je reste chez moi, je fréquente quelques bonnes adresses, et surtout je voyage : l’Albanie en large tête, l’Italie (quoiqu’il faille prendre un peu de distance avec la sacro-sainte idée que le café y est toujours excellent : cela dépend de la ville et du lieu choisi), la Turquie, les Balkans (et avec 12 000 tonnes de sucre et du lait, mais qui n’est plus un café proprement dit, le cafezinho du Brésil ou celui du sud de l’Inde).
Le breuvage importe peu finalement… pourvu que j’aie le rituel, l’ouate bruyante, l’idée de seuil, tout ce contexte qui me met au travail. D’ailleurs, en classe, sur le bureau à ma droite se trouve… mon thermos de café.
Note : sur les rituels du café et de l’écriture, un article un peu trop succinct ICI et la relation d’une expérience très amusante sur le cliché de l’écrivain au café ICI !
Si je bossais dans les cafés, je pense qu'on m'aurait tuée depuis longtemps 😀
Blague sonore à part, j'envie cette capacité à se concentrer malgré le passage. Chacun a ses rituels, le mien est extrême : s'il faut écrire ou penser, c'est de préférence dans le désert. C'est pour ça que j'ai tout arrêté 😉
@ Nekkonezumi : mouahahahah, mais comme je vois trop bien la scène ! "Mais mademoiselle...", "Ben quoi, je bosse !" 😉
Oui, le désert, virtuel plus que réel ;), peut être un très bon lieu pour se concentrer. J'ai aussi constaté que le besoin varie selon l'activité ou le contexte : si je suis chez moi, il me faut soit un silence total, soit de la musique que je connais par coeur donc qui a un effet de plongée, d'hypnose ! Si chez moi ou dans ma famille, des gens parlent pas loin, même la pièce à côté ou l'étage en dessous, je préfère ne rien faire parce que je ne serai pas dans ma bulle : si je suis totalement étrangère à ce qui se dit dans le café, là j'ai envie de participer !
Je travaille régulièrement dans des cafés, et jamais en terrasse (entre autres pour fuir la fumée de tabac...).
@ Joël : ah oui, tu as tout à fait raison ! Je pense que c'est aussi une des raisons qui me font fuir les terrasses, je n'en avais pas pris conscience !
C'est seule dans un café que je m'extrais le mieux de l'espace et du temps: j'y lis ou j'y travaille entièrement immergée en moi-même et je fais surface ponctuellement sans savoir où je suis ni depuis combien de temps, étonnée de tous ces sons... un régal.
@ Br'1 : ouiiiii, tu décris très bien cette idée de réémerger dans le monde, c'est exactement ça !!! Avec la sensation comme avec un bon roman d'être partie loin, profond, et d'être émerveillée aussi de revenir, attablée, entourée d'un contexte très vivant, dans un café...