Je ne suis pas certaine qu’il y ait de plus belle saison en Chine que l’automne.
L’hiver y est froid et violent, ou humide et triste. L’été y est pluvieux et moite, ou d’une sécheresse à faire se lever les tempêtes de sable. Je ne suis pas sûre qu’il y ait de vrai printemps, et il conviendrait peut-être plus de le passer à parcourir l’archipel nippon voisin. Mais l’automne des campagnes chinoises a cette nostalgie qui sied à l’esprit avide de douceur.
Il ne me faudrait pas grand-chose pour retourner encore m’enfoncer dans les provinces délaissées, Hubei, Hebei, Hunan, Henan, Anhui… Il suffirait d’une gourmandise réveillée à l’évocation de ces marrons dégustés en se brûlant les doigts à la sortie matutinale d’un train de nuit devant des montagnes embrumées. Il suffirait d’un regard brillant à l’idée de goûter les xiao baozi rempli de farce, achetés à l’unité dans la rue, tenant dans la paume de la main, dégoulinant sur le menton d’un jus de viande délicieux. Il suffit de l’élan profond qui fait que l’on fait confiance et que l’on se laisse porter, au gré des bus et des trains qui sillonnent le pays, et qu’absolument partout on trouve ce que l’on est venu chercher.
Soi-même.
De plus en plus en Asie, le paysage se recompose en fonction de ce qu’en attendent les touristes. Des hutong pékinois repeints de frais aux villas rurales dont le parcours est surorganisé, des portions de la Muraille accessibles par tous les transports les plus modernes aux montagnes taoïstes aux chemins pavés et aux débits de boisson réguliers, la Chine a retenu la leçon du tourisme de masse pour ses propres ressortissants qui parcourent le pays avec force haut-parleurs, talons hauts, casquettes au logo d’entreprise et sac Vuitton, et pour les visiteurs étrangers.
Mais il y a encore des poches. Quelques-unes. Et il y a des moments. Quelques-uns. Et la Chine devient la carte postale que l’on ne croyait plus jamais voir… elle se développe sous nos yeux sans que l’on s’y attendre, elle devient ce que l’on est venu chercher, une part de nous-mêmes.
J’éviterais à nouveau Shanghai, Canton et Pékin. La mégalopole chinoise lasse par ses vitrines en toc et le rapiéçage m’as-tu vu, je m’enfoncerais à nouveau dans les campagnes. Il faut les chercher, ces petits villages calmes et sereins, certains sont devenus des Disneyland autour de Shanghai, d’autres commencent de figurer sur les itinéraires des groupes chinois dans le Huizhou de l’Anhui, d’autres encore ne reçoivent que peu de visiteurs dans le Fujian et le Zhejiang. En automne, tous étaient vides.
Et de retrouver cette atmosphère incroyable. La lenteur de l’eau qui s’écoule, les activités quotidiennes rurales, les étangs et les saules et le vent et les murmures. Havre paisible loin de tout… La courge sèche au soleil, le pak choy juste cueilli, le linge étendu, la sérénité retrouvée. Pour un peu on ne trouverait pas d’échoppe où acheter de l’eau. Pour un peu il n’y aurait pas de préposé au parking.
Pour un peu il n’y aurait que nous.
Alors on y ferait la seule pause qui ait un sens. Celle des frustrations, des craintes, de la colère et des angoisses, la pause de ce qui est douloureux et non celle de ce qui est bon. Et toute l’amertume disparaîtrait dans les volutes d’un nuage, au milieu des lions et des figures antiques et des caractères peints sur les murs blancs.
Et l’on croquerait dans ce baozi avant qu’il ne refroidisse, comme on croque dans la vie…
ça donne envie !
et ça me fait penser à un livre que je viens de terminer, de Fuschia Dunlop: "Shark's fin and Sichuan pepper" où elle raconte ses aventures culinaires dans une Chine en plein changement.
@ Miss Sunalee : je ne connais pas du tout mais rien que le sujet, cela me fait venir l'eau à la bouche ! Je note, merci ! 🙂
quelle sérénité et cette ...paix. Le temps s'est arrêté...
@ Vinzzledoc : totalement... et cela fait un bien fou ! 🙂
la chine antique en plein effervescence,bien décrit par les images à l'ancienne.
@ Soncia : oui, bien plus complexe que l'opposition tradition/modernité que l'on nous sert à toutes les sauces 🙂