Tout comme je déteste lire la quatrième de couverture d’un roman, je ne déflore pas un voyage.
Une vadrouille ne suppose pas pour moi une préparation minutieuse. Surtout pas en fait. Je choisis la destination à ce que j’en ai appris au fil de mes lectures, de mes voyages précédents, à ce que j’en ai glané. En fonction d’une envie irrationnelle aussi, à ce que le pays représente dans mon imaginaire. Le Bélize, le Bhoutan, l’Albanie, la Birmanie ou encore Taïwan sont ainsi venus emplir mes yeux. Une fois la destination choisie, je fuis très loin tout livre, tout film qui en parlera. Je ne lirai et regarderai qu’au retour, bien plus tard, ce n’est pas un voyage académique que j’entreprends, ce n’est pas un diplôme que je passe, c’est un… voyage.
Un laisser-aller, un lâcher-prise, un ressens-découvre. Je ne prendrai pas conseil autour de moi, et comme dans ma pratique de bien des choses je farfouillerai par moi-même, en solitaire, pour créer ma propre vision du pays et n’échanger à son propos qu’au retour. A l’exception de la Chine et de l’Inde ou quelques autres pays qu’à force de sillonner j’envisage dans les micro-détails, à moins aussi qu’il n’y ait des personnes peu habituées à voyager avec moi et qui ont besoin d’un cadre, j’aurais auparavant juste feuilleté rapidement un ou deux guides sans les lire. Surtout pas. Préparation ultra-minimale, rapide évaluation des incontournables, des temps de transport, de quelques guesthouses, mais… surtout pas de minutage et de passages obligés.
L’itinéraire sera flottant. Décidé quelques jours avant. En fonction de ce qui peut se faire réellement, en fonction de l’humeur et du temps.
Le voyage sera impressionniste.
Et cela me réussit.
Si j’avais procédé autrement sur une destination aussi méconnue que l’Albanie, je n’y serais tout d’abord pas allée. Et puis j’aurais lu dans les guides que « Butrint est un très beau site mais qui est très très très très très éloigné de tout et complexe d’accès, qu’en plus c’est décevant car les splendides mosaïques (seul intérêt du site apparemment) sont recouvertes de sable pour les protéger ». Procédant avec logique, rationalité et organisation minutieuse, je n’aurais pas poussé aussi loin, 12h de fourgonnette cahoteuse près d’une ville décrite comme un Benidorm local aux constructions plus laides les unes que les autres défigurant la côte ? Allons, ne perdons pas de temps…
Sauf que j’ai l’expérience du voyage. Et le feeling. Et que la longue pratique des livres d’art et monographies historiques a bien plus de poids que n’importe quel guide.
C’est ainsi qu’il y eut… Butrint.
Au bout du bout de l’Albanie.
A quelques kilomètres du port de Sarandë, les pieds dans l’eau transparente de l’Adriatique et baigné du soleil de la Grèce. Un enchantement inattendu au bout de cette route qui grimpe doucement la corniche, traverse quelques villages avant de déboucher sur un estuaire turquoise. L’entrée du parc naturel, tout de collines vert tendre et de lagunes bleues tropicales, qui enserre comme un écrin le bijou archéologique qu’est Butrint.
Villas romaines, baptistère, théâtre, basilique, thermes, tours vénitiennes et murailles intactes, on s’y promène sous une canopée d’eucalyptus, dans la pénombre et les sentiers herbus. Le soleil perce les frondaisons, joue sur les mares saumâtres laissées dans les vestiges même par la lente marée, joue sur les carapaces des centaines de tortues qui y paressent. On se penche pour ôter un peu le sable, surgissement d’entrelacs et cette mosaïque presque deux fois millénaire, on s’accroupit pour déchiffrer les solennelles barres du grec de décrets d’affranchissement d’esclaves dont la liberté a été gravée dans la pierre. Murs d’enceinte gigantesque, puits, arches, briques et pierres et colonnades. Le silence absolu percé de temps à autre par le piaillement des oiseaux, le coassement des grenouilles…
Si les sites hellénistiques de la Turquie sont grandioses, si ceux de l’Italie sont d’une finesse incroyable, aucun site archéologique que j’ai pu voir en Méditerranée n’a le charme époustouflant de Butrint. Mais oui, c’est loin Butrint. C’est compliqué d’y aller. Cela ne vaut… vraiment pas le coup.
Viens. Prends ma main, suis-moi…
Une journée au coeur de la Méditerranée antique et médiévale, sous un soleil éclatant ? A ne faire qu’ouvrir grand les yeux et découvrir, comme une enfant.
Attendre le bus, regarder une barque passer sur la lagune de loin en loin. Et savoir que maintenant seulement, je peux trouver le Filippo Coarelli de Butrint. Celui et ceux qui auront décrit, écrit, compris l’organisation de ce site, son rôle et son statut dans les jeux de pouvoir et de commerce méditerranéens, ceux qui pourront m’expliciter et mettre des mots sur ce que j’ai vu.
Le pointillisme commence quand on ôte les sandales…
Magnifique, merci.
Indiana Moufette est de retour!Je partage ta façon de voyager,et grâce a toi,j'ai bien envie un jour,d'aller en Albanie 😉
Effectivement, c'est horrible 😉
Alors c'est une très bonne idée de se laisser aller, pour voir ce que nous vient à l'esprit et suivre nos idées sans avoir choisis au préalable... Sinon les photos sont belles je ne savais pas qu'il y avait des ruines là bas...
Belle plume et belle manière de voyager devenue trop rare. J'essaye également de ne pas tomber dans la frénésie de cherche sur la toile avant de partir en voyage, mais je n'y arrive pas toujours :-(. Trop de curiosité avant de partir quelquefois, comme si je voulais déjà être parti. Mais on le regrette toujours, ça tue la surprise.
Par contre, je ne suis pas encore tombé dans le travers de tout organiser d'avance, j'en suis d'ailleurs incapable je pense. À quoi bon voyager si le voyage et déjà fait avant de partir !!