Il y a des noms qui font froncer les sourcils. Qui tendent. Et Albanie est un de ces noms.
On y associe, pour ma part en tout cas, une époque des couleurs et des visages. Ceux émaciés de réfugiés, Kosovars d’origine albanaise, ceux massifs des mafieux, ceux outrageusement fardés des prostituées, ceux de vieillards de beige, de gris et de noir vêtus. Une image de tension et de pauvreté provenant d’un héritage tout simple, celui d’une terre d’exil avant tout. Purges communistes et l’urgence à fuir une dictature d’un rare hermétisme, paysages dans mon esprit asséchés et rocailleux, où des guerres que je ne comprenais pas avaient lieu à moins que ce ne soit dans une région frontalière… Un pays construit en cigarettes de contrebande et doté d’une flotte convoyant des réfugiés, un pays cultivant les armes et la drogue dans ses champs… Etranges que ces représentations de décennies d’histoire partielle, lacunaire, faites de bric et de broc car de l’Albanie… on n’en sait jamais grand-chose sous nos latitudes.
D’ailleurs, quand j’ai évoqué mon voyage ce sont les premières choses que l’on m’a dites : « les putes albanaises », « fais attention », les Mercedes volées, « ça ne craint pas là-bas ? ». Et je n’avais à vrai dire que peu de choses à opposer si ce n’étaient quelques ruines hellénistiques et romaines, quelques mosquées ottomanes, quelques paysages splendides. Peu de noms lumineux, Ismaïl Kadare ? Peu d’emblème… sauf le sari blanc bordé de bleu des Missionnaires de la Charité que j’avais croisées à Calcutta, car l’autre nom c’est celui de Mère Thérésa. Mais une langue formant à elle seule un groupe linguistique, donc rien que pour ça il faut y aller…
Je n’avais aucune idée de l’état réel de l’Albanie. Comment un pays de quelques millions d’habitants seulement, englués dans les conflits alentours résultant du morcellement de la Yougoslavie, dans une péninsule où la mosaïque est à la fois un art graphique et une réalité ethno-religieuse, comment un tel pays évolue-t-il ? s’ouvre-t-il ? perçoit-il les voyageurs, les touristes, entre l’imposante Grèce et le sémillant Monténégro ? Comment y vit-on surtout…
A seulement trois heures de vol de Paris, il y avait un mystère, une sorte d’Inde de l’Europe, dernier bastion en voie de développement de cette partie de la Méditerranée. Il fallait évidemment que j’aille gratouiller ce pays laissé encore souvent en blanc sur les cartes…
Viens, prends ma main, suis-moi…
Ouaaaaais. Tu y es. Moi aussi je veux un emblème Mercedes.
… grimpée dans un furgon à la frontière monténégrine. Le minibus-taxi collectif attend d’être rempli pour partir, ce sera une demi-heure avant l’heure dite ou bien deux heures après, de toute manière le principe est d’attendre à une fourche entre deux routes dans la poussière et d’éjecter les passagers près d’un tas de pierres au bord d’un champ. Oui, le système de transports albanais est totalement latino-américain. Tu vas bon train, au moins 50km/h la vitesse maximale autorisée sur la plupart des routes neuves (pour les préserver ?) et la seule vitesse possible sur les autres, trouées de nids de poule que l’Inde ne renierait pas. Tu es assise à côté d’un vigile, ou d’une vieille dame, ou d’un ballot de serviettes de toilettes. Tu n’as pas de place pour tes jambes, ton dos est compris, et la cagette de tomates ou les poules péruviennes te manqueraient presque.
Les paysages défilent, la plaine vert tendre et les montagnes enneigées, les à-pics rocailleux et la Riviera albanaise. Tu vas en faire des kilomètres cahin-caha pour atteindre l’extrémité sud de l’Albanie…
Et comme toujours, les premiers éléments que tu découvres du pays sont dénués de liens et de charme pour l’instant. C’est l’effet brut du voyage.
Scènes de routes, de villes poussiéreuses qui s’éveillent. Les clichés commencent à prendre place dans le paysage mais aussi à s’entrechoquer avec la réalité. Infrastructures et habitat grossièrement laissés entre la construction et l’abandon, le béton à nu et les poutrelles métalliques au vent. Les jantes « neuves » s’alignent le long des routes, les troupeaux de mouton surplombent les autoroutes et tu commences à avoir une idée de toute la collection Mercedes depuis la nuit des temps. Le tabac est partout, roulé, cigaretté, les petits vendeurs proposent des fruits le long des routes et des kokochë dans les furgon.
C’est gris, c’est terne, c’est étrange, ça n’a aucun sens.
Et progressivement l’intrigue se met en place.
Tu discernes les détails connus auxquels, dans ce dépaysement, te raccrocher. Pour te rassurer. Pour te dire que tu peux appréhender cette réalité. L’écriture ? Finalement on dirait du maltais mâtiné de turc : l’alphabet latin blindé de y, dh, gh, avec des tremas pour faire joli. Et quand tu glisses une oreille entre le chauffeur et ses passagers, entre les hommes attablés au café, elle sonne incroyablement comme de l’italien parlé par des Brésiliens. Tu as l’impression de pouvoir te lover dans ces sonorités alors que tu n’en comprends pas un traître mot. D’ailleurs, tu te rends compte que la fourberie va plus loin puisque le nom même du pays en langue locale est déroutant. Albanie se dit Shqiperëria en albanais… Chypria donc… mouiiii, donc c’est la Chypre du continent… ?
Pourtant, Shqip te dit tout déjà.
Le fameux aigle bicéphale, les soldats illyriens servant Rome, l’attachement ardent à l’indépendance, le refus d’un emblème religieux… Quelques heures seulement et déjà il te semble l’avoir vu pavoiser le moindre bout de trottoir. Un pays où la majorité de la population est musulmane, et pourtant tu as beau chercher, il faut de bons yeux pour trouver un minaret ou un foulard, et si l’on entend le muezzin parfois tu ne vois pas un seul chapeau de prière. Il est certain qu’en décrétant l’Albanie « premier pays athée au monde », le dictateur communiste Enver Hoxha a bien réussi son coup : l’Albanie est INCROYABLEMENT laïque. Oui, cela mérite des majuscules. Même la Chine pop’ paraît fanatique en comparaison. Les deux seules institutions que les Albanais révèrent en réalité, ce sont ce drapeau national qui ne connote que liberté et sacrifice brandi avec force car cette année en est le centenaire, et… le café. En terrasse avec le verre d’eau ou de raki.
Il fallait bien compenser la fermeture des mosquées…
Et là s’empilent les strates de l’Albanie. Les clichés que l’on a retenus et l’histoire et la réalité. Les coups de klaxon des furgons font écho aux noms et goûts turcs conservés dans les cuisines, les köfte le salep le kheema sonnent doux à mes oreilles. La Méditerranée s’invite, ses fromages de chèvre forts et ses olives douces dans des boutiques sans apprêts ni fioritures tandis que les vestiges hellénistiques et romains se profilent à l’horizon. Les vieilles paysannes en noir, pieds solidement plantés dans les sillons des champs, le fichu agité par le vent, font face aux bunkers fièrement dressés pour regarder vers on-ne-sait-plus-trop-quoi. Et les babioles breloques vêtements d’occasion d’attendre le passant sur des draps tendus au sol…
Le cadre se met en place, la scène prend vie, voici l’Albanie.
Alors tu t’essaies à l’Albanie. Faleminderint, le premier mot que l’on apprend dans une langue, merci. Tu t’aventures plus loin, les chiffres, les lieux, les aliments et c’est en te promenant dans ce monde de mots que tu comprends que tu n’es pas au bout de tes surprises.
Car pour dire oui, po, les Albanais… dodelinent. OUI. Pour dire « oui » , ils dodelinent de droite et de gauche, un presque « non » français donc. Comme en Inde. Comme… moi.
Et là… tu sens que le millefeuille albanais a pris forme devant toi et que le croquer va être bon.
Tu sais, quand je te lis, quand je lis tes récits de voyage je me dis que tu mériterai vraiment d'être publiée .
En attendant, connais tu la revue " Bouts du monde " carnets de voyageurs ? tes textes et récits y auraient leurs places. Ils publient toutes sortes de récits de voyages, de textes sur le voyage... de tout un chacun qui est sélectionné.
J'aime beaucoup cette revue, je vais en parler prochainement sur mon blog.
En tous cas j'attends avec impatience la suite de ton récit, je connais le Monténégro mais pas l'Albanie.
@Chalipette : ohhhh merci !!! Et sincèrement, j'aimerais beaucoup publier dans ce genre de revues ou de site, des chroniques régulières de voyages ou de lieux. Je suis parfois très très (et bêtement) timide et n'ose pas solliciter. Il faut que j'y arrive !!!
La suite arrive, je parlerai aussi du Monténégro (j'y suis restée moins longtemps), tu avais aimé ?
Je suis allée au Monténégro lors d'un séjour à Dubrovnik. Nous n'y avons passé que 2 jours nous avons tranversé les gorges de Kotor jusqu'aux bouches de Kotor ! la nature y est fantastique ! et les filles très belles (selon mon mari sic ! ) c'est un très bon souvenir mais c'était très (trop) rapide .
C'est vrai que tu écris vraiment très bien.
L'Albanie, c'est une des destinations les moins chères depuis Dubai. Ajoutent le Kazaksthan et l'Iran et tu auras les 3 pays que je veux avoir visités avant de quitter le Moyen Orient (si ça arrive un jour).
Avec ce récit, tu me redonnes gout aux voyages. Le début n'est pas sans me rappeler la Jordanie, avec un passage par Amman similaire. Gris, déroutant, pas franchement accueillant.
@Djoh : merci beaucoup !!! Et réellement, je suis en train de chercher comment publier une partie de mes textes, notamment sur l'Inde 😉
Ces trois pays faisaient également partie de ma liste, ohhh et puis ajoute l'Arménie... (et puis le Pakistan) (et puis... et puis... hihihi... 😉 ). Et tu as tout à fait raison, je crois que ces pays un peu de l'entre-deux développement, ni très développés ni "sous"-développés ont des caractéristiques communes (notamment les infrastructures fonctionnelles mais grisâtres, ternes) et quand on arrive on a un temps d'appropriation du pays...
Exactement. Après 24h à Amman et des explorations à pied, des rues prises au hasard, des discussions sans langue commune, on commence à apprécier !
Qu'elle beau pays ... mais il faut absolument réussir a s occuper des déchets BCP trop envahissent
J'ai été très déçu par ton récit. Représenter l'Albanie par ces photos, c'est comme si je représentais la France que par des photos prise dans une cité à Saint-Denis à Paris.
Tu n'as publié aucune photo de la capitale Tirana, qui est plus jolie que beaucoup de villes en Europe. Il y des hôtels et des restaurants qu'on ne retrouve tout simplement pas en Europe. Des hotels, tels que Sheraton, Rogner, Tirana etc... et aussi des restaurants tels que Juvenilja et des centaines d'autre.
En plus de ça, tu n'as pas parlé des plages qu'il y a là-bas, alors que l'Albanie est connue pour ça.
A Sarandë qui est une ville au Sud du pays, il y a des plages que je n'ai pas trouvé en Espagne et en France, ni d'ailleurs en Italie. Le seul pays qui pourrait la concurrencer c'est la Grèce.
Je suis désolé mais ton blog n'est qu'une caricature de ce pays.
@VVV : merci pour ton commentaire, je suis désolée pour ma part que tu n'aies absolument pas saisi l'intention de ce billet qui est justement de jouer sur les préjugés négatifs à l'égard de l'Albanie et notamment de la trilogie mafia/cigarettes/prostituées. Mon propos est justement (et tous ceux qui ont commenté avant toi l'ont compris) de dire à quel point il faut aller en Albanie pour découvrir ce pays. J'en ai largement parlé sur Twittr et dans d'autres billets.
Pour autant, je ne cherche pas non plus à caricaturer dans l'autre sens : malgré les sublimes mosquées peintes, les ruines romaines incroyables, les gens extrêmement accueillants ou de magnifiques paysages dans les terres ou sur la côte, Tirana reste une capitale hétérogène, avec ses hôtels de luxe et ses quartiers de taudis, tout comme le reste du pays avec ses plages magnifiques et ses décharges le long des routes côtières. Un pays en voie de développement donc...