Je l’ai rencontré sur un quai. Sur deux quais en fait.
Lui était d’un côté, moi de l’autre. Séparés par la plus grande distance, des rails, une voie, un monde. Mais en face, ensemble, au même moment : chaque matin il arrivait alors que j’attendais déjà mon train, chaque soir je partais alors qu’il attendait encore le sien. Toujours aux mêmes endroits.
Le sourire est apparu, de petits signes échangés. Tu sais, les habitudes se prennent vite. Aussi vite qu’un train.
Il y avait l’heure où il montait dans son wagon, celle où je descendais du mien. Nous savions comment nous entrevoir à travers les portes se refermant, comment continuer à se parler à travers les vitres teintées. Il y avait parfois des retards, l’inquiétude si l’autre avait changé de place, mais nous savions que nous nous retrouverions.
Sur ce quai de gare.
Il y avait du monde. Alors lentement, silencieusement articulé d’un quai à l’autre, ses lèvres m’ont donné un numéro et ses doigts en ont noté un. Un premier appel, face à face mais séparés. Emus, la voix nouée, le souffle court. Comme si tout à coup deux quais de gare se rapprochaient, une fine ligne entre nous mais plus aucune distance. L’entendre rire, jurer, l’entendre aller et venir. Laisser éclater mon rire, mes colères, laisser fuser ma joie.
Nos voix réchauffaient les quais de cette gare étrange, les rendaient colorés et accueillants.
J’ai tenté alors de traverser la voie, je lui ai montré comment enjamber les rails. Nous pouvions tenter de franchir ce qui nous séparait. Je construisais un pont, une passerelle. Le train pouvait ouvrir ses portes sur son quai et le mien, nous pouvions monter tous deux dans le même train et nos mains se toucher enfin. Mais la peur de se faire renverser par le train de la vie, la peur de ne pas aller assez vite, la peur de quitter le confort d’un quai bien connu pour avoir été tant arpenté seul.
Je suis montée dans le train. Il a regardé les marches. Le train a commencé de bouger. Je l’ai regardé, lui ai souri, l’ai appelé. Il a regardé le train prendre de la vitesse. J’ai maintenu la porte ouverte. Il a laisser le train prendre sa course. Je me suis penchée par la porte ouverte, tendant ma main vers la sienne. Tendant le bras pour qu’il s’accroche.
Il n’a pas bougé.
Il est drôle de revenir un an plus tard sur un texte, un souvenir, une douleur. Une plaie que l’on a du cautériser tant elle risquait de gangréner le reste. Mais rester à bord du train ce jour-là était salvateur, et aujourd’hui ce souvenir est devenu une de ces ombres du passé qui font celle que je suis, au même titre que les sourires lumineux.
Câlins doux
@Shaya : rrrrrrrrrrrrrrrrrrrr... (je ronronne)
Ah la la ce que ça me parle... oui il y a des douleurs et des cicatrices salvatrices, des douleurs petites et grandes qui font grandir, qui font avancer.
Nos chutes nous font avancer autant (et peut-être parfois davantage) que nos ascensions et nos victoires.
@Miss Nahn : c'est exactement ça... et il faut du temps pour accepter et oublier et se réapproprier et accepter enfin de laisser ces cicatrices reprendre une place dans nos vies, en tant que cicatrices mais plus en tant que plaies. Pas facile parfois... Des bisous 🙂