Petite fille, j’avais une dînette.
Elle n’était pas de plastique rose, mais de porcelaine blanche. Ma grand-mère l’avait trouvée quelque part, à la Croix-Rouge où elle travaillait je pense. J’avais pour moi toute seule coupelles, soucoupes, pots, carafes, en miniatures. Je me souviens des heures passées à manipuler ces ustensiles fins et froids entre mes doigts, avoir précautionneusement empilé, disposé, lavé cette vaisselle d’enfant. Je me souviens de la sensation glacée sous mes genoux des solides carreaux de céramique de la cuisine dans laquelle je jouais. J’y ai passé des heures. Et je faisais en sorte d’être seule à ma dînette.
Car je n’ai jamais prétendu concocter des plats à des convives imaginaires, ou servir des repas fabuleux à des camarades réels.
Moi, je préparais des potions magiques…
Mon imaginaire d’enfant était peuplé non de princesses et de princes, de mariages et de cérémonies, mais de sorcières, de squelettes, de maisons hantées et de monstres. Il y avait des breuvages et des filtres, et plutôt que de maquiller des poupées, je voulais touiller, mélanger, trouver les ingrédients qui, une fois réunis, feraient fumées, nuages et explosions magiques. Je voulais de la métamorphose, de l’enchantement, de la peur, je voulais qu’entre mes doigts naisse la mixture qui prouverait que j’avais… trouvé. Trouvé quoi je ne sais pas, mais trouver était l’essentiel de ma dînette. Pour ce faire, j’avais tous les produits nécessaires disponibles dans la cuisine, mais pas de farine, de sel ou de sucre.
J’ai passé mon enfance les doigts dans le cumin, le nez dans la muscade, les lèvres dans la cannelle.
Mon imaginaire d’enfant s’est gorgé d’épices magiques, d’Orient étrange, de saveurs pénétrantes et d’arômes intenses. J’étais la Petite Alchimiste de l’Orient, j’étais la Petite Sorcière aux Mille Parfums. Je partais en quête de cardamome, de Cinq-Parfums, je goûtais la girofle et la badiane, j’ajoutais poudre de curry et essence de vanille.
Je n’ai pas réussi alors à créer la potion magique, celle qui m’aurait dit « tu as trouvé, c’est bon, arrête-toi ». Alors peut-être est-ce pour cela que j’ai commencé de courir les sentiers de l’Orient à la recherche de nouvelles épices.
Un jour dans un petit marché d’un quartier très populaire de Bombay, j’ai vu sur un étal des dînettes. Des dînettes totalement indiennes, car ce jeu reflète les conventions et les habitudes d’un pays. Elles étaient faites de métal et d’ustensiles que je n’avais pas connus enfant mais que je regardais en tant qu’adulte, avec délectation et curiosité, en sachant les utiliser tant ils faisaient désormais partie de mon quotidien : écumoires, gobelets, jarres à lait, pots à eau, seau à crème glacée, kadai pour faire revenir, tawa pour faire mijoter, dabba à plusieurs étages pour le repas du midi et bidon à robinet pour le chai bien sûr…
L’enfant en moi a souri, la langue pointant entre les lèvres, les doigts s’agitant dans la poche.
Je ne sais pas comment les enfants indiens y jouent. S’ils les remplissent de riz et d’atta, d’épices broyées, de lait, de sable ou d’eau. S’ils y confectionnent des repas pour leurs amis, s’ils imaginent le banquet de leur vie. Mais je suis certaine qu’il y a, parmi les petites filles indiennes, une enfant dont le regard pétille au moment où elle se lance un étrange défi à elle-même. Celui de trouver la potion qui prouvera… qu’elle a trouvé.
Je n’en sais toujours pas la recette, de cette potion. Mais je me suis dit qu’après tout, ce n’est peut-être pas tant les épices qui importent que les récipients utilisés…
Alors, dans le doute, la petite fille en moi qui sourit et jubile et qui continue de chercher a acheté la dînette indienne…
Hahaha, Fripouille Frimousse !!
Aucun souvenir de ce genre pour moi, c'est dingue : je revois plein de jeux mais pas de tambouille. Et pourtant...
J'imagine que tu as lu "La maîtresse des épices", évidemment...
oh les dabbas (tiffin box) !! quand je mange froid à midi au bureau je pense aux dabbah wallahs. Tu aurais dû ramener qq uns ...
ever-silver ne passera jamais de mode !!
Quelle belle fillette, quelle joie d'avoir reçue une si jolie dinette et quel plaisir que tous ces épices, vraiment vous avez de la chance.