Pour arriver chez Mounir, il faut emprunter des chemins détournés.
Sortir de Calcutta et laisser derrière soi les demi-constructions hideuses des nouvelles banlieues, les bidonvilles qui s’y immiscent déjà, et emprunter la GT Road qui traverse l’Inde de part en part. Sur des centaines de kilomètres, mais en réalité quelques dizaines seulement, il faut éviter les nids de poule, supporter les coups de freins intempestifs, et zigzaguer entre les camions et les rickshaws, les bicyclettes et les motos.
Tu traverses des villes qui ont l’apparence de villages, et des villages écrasés de poussière. Les regards le long des routes de l’Inde sont aussi ternes que la couleur du sol. A Chandernagor, tu bifurques et tu penses à Tintin où tu as pour la première fois lu ce nom, et la voiture continue de filer à travers la campagne du Bengale. Par la fenêtre grande ouverte, un soleil resplendissant et une chaleur torride, tu regardes les rizières asséchées de ce mois de janvier, les champs de moutarde ponctués de jaune éclatant. De ci de là l’horizon plat est percé des cimes de cocotiers et de cahutes en pisé. Toits de paille et murs de bouse, l’impression d’être en train de découvrir une Inde d’Afrique… mais les ruines qui surgissent de temps à autre te rappellent que les nababs vivaient ici.
Villages poussiéreux, femmes en sari accroupies à battre la paille, la ville a disparu. Les voitures et les camions aussi. Il n’y a plus des milliers de personnes autour de toi mais seulement, de loin en loin, un écolier qui rentre chez lui en équilibre sur la diguette d’une rizière ou une femme portant des branchages sur la tête.
Alors la douceur du Bengale devient à nulle autre pareille.
Broder est une tradition ancienne au Bengale. Ce sont les femmes qui brodaient, récupérant au mieux les fils glissés de leurs saris pour embellir d’autres vêtements. Des broderies plates, des points très simples, seulement un contour ou un petit motif floral, une simple guirlande de feuilles. Une broderie épurée, rare dans l’Inde qui surcharge, dont la tradition s’est renforcée avec l’installation de la capitale du Raj britannique à Calcutta. La demande en broderies de qualité sur drap blanc, à l’occidentale, s’est accrue et broder est devenue une industrie complétant les revenus de la terre. Et les draps, nappes, taies, serviettes, sari et kurti de s’orner de kantha ou de chikankari.
Mounir parcourt l’Inde avec son ballot savamment ficelé. Il revient tous les 3 mois chez lui pour voir son épouse et ses trois filles, belles comme le jour. De Bangalore à Bombay, de Delhi à Chennai, il court les chemins de fer au gré de son réseau d’expatriés : il y a plus d’argent à faire pense-t-il qu’avec les Indiens, âpres à la négociation, rudes et sourcilleux. Sous ses dehors de gentil père de famille, Mounir a parfois tout du marchand de tapis que l’on évite. Des prix élevés, l’insistance de celui qui a déballé ses richesses devant toi et si les Américains et Japonais raffolent de ses broderies, les Européens y voient trop les motifs des tables et des lits de leurs grands-mères. Motifs aussi difficiles à assortir pour nous qu’il l’est pour lui de les modifier…
Mais il continue à solliciter les expatriés, à demander des contacts, à courir l’Inde pour gagner de quoi éduquer ses filles et construire sa réussite au village.
Mounir a déroulé bien des fois sa tradition à mes pieds, mais au gré des déballages et remballages dans mon salon, j’ai tissé avec lui des liens plus étroits. Et de son anglais fluide et rond, avec sa curiosité et sa douceur, les conversations se sont étoffées. Ses filles, ses parents, ses espoirs et ses doutes, sa vision aussi des étrangers et des expatriés, son ravissement de m’expliquer sa pratique tranquille et fervente de l’Islam. Ce sont son visage cuivré et ses yeux en amande qui m’ont donné envie de retourner au Bengale.
Mounir m’avait plusieurs fois invitée à venir chez lui. Déjeuner, rencontrer sa famille, me faire l’honneur surtout de la khidmat des musulmans bengali*.
Au bout de cette route, en contournant des rizières à sec, un îlot de verdure. Et la maison de Mounir.
Viens, prends ma main, suis-moi…
* « Khidmat » en ourdou signifie hospitalité, teintée de toute l’amitié courtoise possible.
Rhhhhhhhhhhaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa je te suis,mais ne t'arretes pas en si bon chemin, diablesse!!!;)
@ Zaneema : je suis innoceeeeeeeeeente, c'est pas de ma faute, je voulais juste faire un tout petit suspense de rien du tout !!! 😉
C'est vrai que tu es une sacrée vache (haha, jeu de mots) sur ce coup de suspense là 🙂
@ Nekkonezumi : mouahahahah ! Joli jeu de mots, hihihi ! La suite va venir...
Te lire me donne toujours l'impression de commencer la lecture d'un conte de notre enfance.
@Shaya : hihihi, merci ! Je pense vraiment qu'un jour je parviendrai à écrire les contes que j'ai en tête !
Beau récit,la suite vite...
@ Quenotte : merci beaucoup, la suite arrive ! 🙂
Des photos du Bengale qu'on a pas l'habitude de voir. Merci beaucoup pour ce partage, et ce voyage.