[Une première étape ICI, une seconde LA.]
Le Temple d’Or est aussi un lieu d’accueil. Et c’est là où j’ai retrouvé un peu de cet humanisme collectif qui m’a si souvent semblé faire défaut ailleurs.
Etrangement pour l’Inde, le Temple d’Or et ses bâtiments sont ouverts à tous ceux qui souhaitent y accéder. Les Sikhs et les non-Sikhs, les Indiens et les non-Indiens, les hommes, les femmes, les Occidentaux, les voyageurs de passage, tout le monde. Qu’elle que soit ta condition sociale, ta couleur de peau, le but de ta venue.
Au Temple, tu trouves asile. Dans le grand bâtiment de la guesthouse avec ses dizaines de chambres minuscules, sous la colonnade aussi, sur un lit de sangle ou un matelas, et même peut-être un dortoir basique si tu es Occidental ou bien à même le sol si tu arrives trop tard. Tu pourras y passer une nuit, ou deux, te reposer en regardant la nuit envelopper le palais doré, bercé par la psalmodie sacrée. En sécurité, accueilli et protégé par les gardes sikhs barbus et enturbannés qui veillent sur ceux qui trouvent refuge ici.
Au Temple, tu peux manger. On te le conseille d’ailleurs dans tous les guides tant l’expérience est étonnante. Un réfectoire gigantesque et ses cuisines encore plus gigantesque servent continuellement des repas, jusqu’à 50 000 par jour. Gratuits pour tous, et la foule s’y rendant dans une sorte d’évidence tranquille, tu lui emboîtes le pas. Faire la queue comme tout le monde, pas de file différente pour les riches, les purs, les femmes ou les étrangers, pas de passe-droits ni de privilèges. C’est rare aussi. Les bénévoles te donnent un thali, un gobelet et une cuillère de métal d’une propreté étincelante, et après avoir attendu une quinzaine de minutes le temps que le service précédent soit fini, tu entres dans la salle juste nettoyée qui se remplit à nouveau de centaines de convives.
Dont toi.
Tu t’assieds par terre, comme tout le monde. Au milieu des hommes et des femmes, des Sikhs et des non-Sikhs, des fiers guerriers au turban gigantesque et des hommes communs. Comme si tout cela n’était que très normal. Et pourtant, tu es bien en Inde, le pays de la distinction, de l’exclusion, de la différenciation maximales.
Les bénévoles chargés de seaux de dahl, de curry de légumes et de riz, servent chaque thali avec une régularité de métronome. Le panier de chapati suit, chauds, moëlleux, et les bénévoles reviennent déjà, resservent, amènent l’eau dans de grandes jarres. On mange rapidement, comme toujours en Inde. Le repas commun ne doit pas traîner parce que d’autres attendent. Et ont faim. En sortant, on passe à travers les cuisines : les bénévoles, jeunes et vieux, lavent, rincent, à grande eau et pieds nus. Les grands guerriers harnachés de leur cimeterre égaux aux jeunes pères de famille. Et toi aussi l’étranger, l’Occidental, tu peux t’intégrer à la chaîne, prendre un thali sale et le laver, le passer à ton voisin, donner un coup de main. Si tu as envie. Aucune obligation ni aucune culpabilité.
La recherche d’un bien-être commun, il y a quelque chose d’étrange à l’expérimenter en Inde. A le redécouvrir même, tant on l’avait oublié.
Le soir, alors que la ville plongée dans un noir de suie tremble du grondement des générateurs, une foule se masse à l’une des entrées du Temple. Sans turban, plus minces et plus petits que les Sikhs, les hindous et les musulmans pauvres de la ville se pressent et les cuisines viennent à leur rencontre. Le dhal et le riz sont cuits à l’extérieur de l’enceinte et distribués, par les bénévoles, des enfants aussi, et l’étranger est à nouveau accueilli. Avec un grand sourire, un vieil homme me met de force dans la main une feuille de journal, portion de riz et de dhal, douceur très sucrée et verre de chai. Il faut prendre des forces ! Et je me dis que comme toujours en Inde, l’initiative religieuse ou privée pallie les manques de l’Etat… Et les pauvres de la ville d’affluer, tendre leurs mains avant de s’en retourner dans les ruelles noires d’Amritsar.
On te dira que tout est gratuit, et c’est vrai. Le devoir de charité et d’hospitalité dans son expression la plus concrète. Alors cela peut sembler indécent de mettre l’accent sur cet aspect, tant le niveau de vie du voyageur (même celui qui prétend voyager « pour rien ») est plus élevé que celui de la majorité des Indiens rencontrés. Mais au bout d’une route faite de doubles tarifs, de prix gonflés et de négociations de marchands de tapis, normales et attendues dans un pays où une roupie est une roupie, le voyageur se lasse de payer deux roupies la roupie. On le sait, on l’accepte, c’est le jeu du voyage, et on sait que les Indiens doivent aussi négocier. Mais cela manifeste à force cette non-intégration sans remède, quelle que soit ta maîtrise du hindi et des coutumes locales.
C’était gratuit et pourtant j’ai payé. Le seul lieu religieux au monde sans doute où j’ai fait un don. Parce qu’au Temple d’Or, je me suis tout à coup sentie juste un être humain parmi d’autres. Qui mérite le gîte et le couvert quelles que soient mes croyances et mon origine. A l’issue d’un voyage éprouvant en Inde du Nord de la frontière bangladaise à la frontière pakistanaise, des lieux hors des sentiers battus aux lieux très touristiques, c’est le seul endroit où je me suis sentie accueillie et sereine. En sécurité et surtout bienvenue.
Peut-être aussi que c’est de cette manière que fonctionne le meilleur prosélytisme…
Note : tu verras plus de photos et un film de la fameuse machine à « chapati » ICI dans une très belle incursion au Temple d’Or.
ben y'a eu du changement ici! j'espère que ça va...merci j'ai envie d'un thali!
@ Miss 400 : et un thali pour la 400, un ! 😉
J'ai envie de me faire sikh. Encore merci pour ce chouette voyage !
@ Amryn : mouahahahah, au début j'ai lu "j'ai envie de me faire un sikh" et j'ai trouvé ça sympathique quoique très osé ! 😉 De rien, c'est un plaisir que de le décrire 🙂
J'aime toujours autant ton regard et tes mots.
J'aime que tu me prennes la main et que je te suive.
@ Shaya : merci beaucoup ! 🙂 Oh oui, tu sais que toi, je te prends par la main et je t'emmène n'importe où (et ce sera n'importe quoi... et ce sera donc très chouette) !
Rien que cette chaleur du Temple d'Or, c'est une bonne raison pour visiter l'Inde ! On a même envie d'un 4/3 de cette série ; )
Ah !! donc tout le monde peut donner un coup de main? même les "touristes"?
@ M1 : merci 🙂 Le 4/3 ce seront peut-être d'autres photos ? Je verrai !
Je ne pense pas que seul le Temple d'Or vaille la peine d'un voyage en Inde. Il est éloigné des itinéraires touristiques donc cela demande pas mal de temps (ou d'argent) pour y aller, pour finalement n'y passer qu'un jour où deux. Et le reste de la ville est une horreur. En revanche, clore un voyage entier par ce lieu, ça vaut vraiment le coup !