[Le début se trouve ICI.]
Entrer dans l’enceinte du Temple d’Or, c’est s’extraire de la crasse et de la poussière d’Amritsar.
La capitale du Penjab, rendue encore plus insupportablement bruyante que d’autres villes par les générateurs que doivent utiliser chaque boutique, chaque restaurant, chaque hôtel à cause des coupures de courant permanentes, où les rues noirâtres sont exemptes d’un seul espace serein, envahies de klaxons et de la furie des véhicules. La ville indienne par excellence.
Jusqu’à arriver là où la blancheur fuse, où le marbre brûle, où le cuivre recouvert d’or étincelle.
Avant de pénétrer dans l’immense enceinte blanche qui court autour de l’Amrit Sarovar, le bassin sacré, on enlève ses chaussures.
Mais elles ne sont pas poussées du pied dans un recoin maculé de crachats, sans être touchées parce qu’impures. Et ce n’est pas un pauvre gars payé une misère qui fait mine de les surveiller d’un oeil morne. Non. On rencontre là les premiers bénévoles du Temple, ceux qui viennent consacrer une journée de leur temps à faire fonctionner l’énorme complexe sikh. Ils prennent tes chaussures avec leurs mains. Lui, il les porte à son front même et les range soigneusement dans un casier. Il est peut-être médecin, mécanicien, professeur, banquier, chauffeur, je n’en sais rien, mais il est propre des ongles au visage, des vêtements au turban. C’est gratuit, et il est inimaginable qu’il s’aventure à me demander quelques roupies.
Contourner le bassin, s’asseoir à l’ombre de la colonnade, prier devant les arbres saints et les petits autels. Il y a des rites difficiles à comprendre pour celui qui vient la première fois, mais ce qui marque, c’est la ferveur simple, jamais ostentatoire. Une sorte de joie d’accomplir son devoir sans prendre qui que ce soit d’autre à témoin que soi-même et le Waheguru, le Dieu suprême.
Irrémédiablement, les pas et le regard sont alors attirés vers la jetée couverte qui conduit au Temple d’Or lui-même, le Hari Mandir.
Là se trouve le Livre saint du sikhisme, le Gurû Granth Sahib, un recueil de poèmes mystiques datant du début du XVIIème siècle. Si les gurudwara sont des forteresses, tu y es pourtant le bienvenu, tout étranger que tu sois et tu peux toi aussi entrer dans le sanctuaire admirer le Livre saint. Ecouter les chants, à l’intérieur même de l’enceinte sacrée, au milieu des Sikhs. C’est rare en Inde…
Chaque soir, le livre est transporté dans une nacelle ouvragée du Temple à la bibliothèque puis ramené de la bibliothèque de l’Akal Takht au Temple le matin suivant. Une cérémonie où les gardes, les prêtres, les fidèles ont leur rôle à jouer, sonner du cor, protéger la nacelle et lui ouvrir le chemin, accompagner le livre d’un reliquaire à l’autre. Les Sikhs sont des guerriers, investis d’une mission dont la dignité transparaît dans le regard convaincu des fidèles. Tout le monde se presse pour voir cette translation du Livre saint, mais sans heurts, sans coups. C’est rare aussi.
Dans la nuit illuminée du scintillement doré du Temple sous les projecteurs, le cor appelle, les drapeaux surgissent et les tambours se mettent à résonner… Une scène d’un autre âge devant mes yeux, où se mêlent les réminiscences d’une garde prétorienne et de batailles médiévales, des visages hiératiques empreints du sérieux de la tâche, les chants d’une seule voix et la nacelle qui glisse à travers la foule sur son parcours sacré… De la révérence palpable dans la foule et quand le Livre a disparu entre les murs de la bibliothèque, la joie simple de ceux qui retournent profiter de la sérénité du lieu.
Ce qui devait être fait a été fait, et tout est bien.
Amritsar Gurû Granth Sahib par Chouyo
[La suite se trouve LA.]
Merci pour cette très belle découverte Chouyo ! Le temps de la lecture, j'y étais.
@ Womann's World : de rien ! Et tu y étais presque parce que finalement, même sans y être allée, tu devines avec tes souvenirs d'Inde ce que je décris 😉
C'est fou ! l'impression que c'est un vaisseau spatial, en dehors du temps, en dehors de l'Inde ! cette propreté, l'organisation, l'humanisme, l'architecture, la procession ...
Ce bassin sacré, il communique avec un fleuve? désolé si ma question est idiote : )
@ M1 : oui, et pourtant c'est une religion totalement indienne, née en Inde, et très implantée dans la région... donc une sorte d'OVNI qui n'a pourtant sa place qu'ici !
Non, ce n'est pas du tout une question idiote ! Déjà ce qui est certain c'est que l'eau ne vient pas du Gange... mais après ? Aucune rivière, aucun fleuve sur la carte topographique mais peut-être une rivière souterraine ? Je n'ai aucune idée d'où vient l'eau !
Merci pour cette belle balade, cela donne très envie !
@ Isa : de rien ! Et je suis très heureuse que mes billets aient cet effet-là !
c'est magnifique ! merci beaucoup !
@ Amryn : oui, je me suis dit exactement la même chose 🙂 De rien !