Je ne sais pas de quoi cela vient.
Ce sentiment d’être concernée, d’un devoir à accomplir. L’esprit du vote, le devoir du choix. Qu’est-ce qui fait qu’on l’a chevillé au corps ? qu’est-ce qui fait qu’on ne l’a pas ? Qu’est-ce qui fait que certains qui en ont le libre usage ne l’utilisent pas, et que d’autres votent consciencieusement à chaque élection ?
Pas l’éducation, un de mes frères semble peu intéressé, l’autre plus jeune jette déjà des coups d’oeil tandis que ma soeur n’est pas je crois inscrite sur une liste électorale. Un sentiment de responsabilité peut-être ? Et l’envie certaine de donner son avis. L’envie de participer aussi. D’être partie prenante.
Juin 1999. Premières élections, symboliques pour moi, l’Europe chevillée à mon corps, à mon âme et à mon sang comme le droit de vote est chevillé à mon coeur. J’ai voté et je me souviens des listes, de la pile de programmes, de la tête de liste et de son visage poupin désormais plus mince… Je me souviens qu’il faisait un soleil splendide dans ma vallée alpine, la petite école de village accrochée à la route, les murs crème. Surprise de l’absence de décorum, je pensais lire autour de moi l’excitation que je ressentais, une enfant attendant le matin de Noël. Je me souviens avoir été déconcertée par la rapidité, trop rapide ce moment de l’isoloir à l’urne, de l’urne à l’émargement, de l’entrée à la sortie du bureau de vote. J’aurais voulu savourer plus ce moment où j’ai accédé au monde des citoyens, des citoyens libres.
Je me souviens des tracts, de ceux qui ne votaient pas, des enveloppes bleuâtres et de ceux qui s’en fichaient. Je me souviens surtout de cette fierté en sortant de l’isoloir, marcher jusqu’à l’urne, la main gui glisse si facilement l’enveloppe, et ma première carte d’électrice tamponnée. Elles font une pile aujourd’hui, égrenant chacune des élections auxquelles j’ai tenu à participer.
Mon sourire en sortant. Fierté.
Les deux derniers week-ends j’ai voté. Les contingences de l’éloignement et de la Poste indienne ajoutées, je n’aurais pas du participer alors même que mon engagement m’était évident. Un peu d’abattement et de colère, et le sentiment d’avoir failli, de ne pas participer à la fête. Mais le 2.0 quand il devient 3.0 se charge très bien de ces situations-là… C’est un mot sur Twitter, c’est un moment partagé, et c’est cette proposition venue du bout du monde. Alors ce premier dimanche j’ai vu la queue se former devant le bureau de vote, un manteau rose qui attend. Le fin papier blanc et un nom qui se détache, la signature sur le registre. A voté. Moi, elle a voté et c’est moi. Le dimanche suivant, j’ai vu le marché se finir, moins de monde cette fois, et le rideau sombre qui s’écarte, c’est une petite main qui a saisit l’enveloppe cette fois, l’a glissée dans l’urne. Un sourire, la joie enfantine, et sans aucune doute de la fierté.
J’ai pu voter ces deux fois, l’une d’entre vous me l’a permis. Elle sait à quel point je l’en remercie.
Et aujourd’hui ? Je me prépare, je m’habille, un café à la main. L’excitation chevillée au corps. J’ai lu les programmes, suivi les rebondissements, suivi des débats. Je connais les alliances et les engagements, quelques visages et le chemin parcouru. Chaque enveloppe sera aussi précieuse à ceux qui la glisseront dans l’urne qu’elle l’est pour moi depuis ce jour de juin 1999. Aujourd’hui je me prépare parce que c’est comme si j’accompagnais à des milliers de kilomètres l’un d’entre vous voter. Pour la première fois. Le 2.0 devenu 3.0 encore. La ville frémit, les rues bruissent, l’excitation dans les regards. Des demi-sourires encore réprimés, on n’y croit toujours pas. Je vois la queue se former devant le bureau de vote sur l’avenue, les visages encore un peu étonnés d’être là et les enfants qui trépignent de joie. Elire une Assemblée constituante, écrire avec sa voix une Constitution. La loi fondamentale d’une nation. La première pierre d’un édifice. Ce jeune homme, cette dame, ce vieil homme, un bulletin de vote pour la première fois. Avoir le droit de participer, d’être partie prenante.
A l’autre bout du monde, j’attendrai à l’extérieur du bureau de vote. Le rideau sombre qui retombe doucement, la soudaine intimité, relire la bulletin de vote une dernière fois. Se dire que c’est incroyable, à nouveau. Glisser le papier fragile dans la fine enveloppe, la serrer entre ses doigts, toute l’importance d’une voix. Soulever le rideau, faire quelques pas. Pour la première fois, l’urne devant soi et le bruit du papier qui glisse sur d’autres, le claquement. La signature fébrile. L’encre.
« A voté ».
Une première fois, une première élection, est un pas dans l’inconnu. Il y a cette angoisse du choix, sera-t-il ou sera-t-elle à la hauteur de mes espérances ? Il y a cette angoisse du moment, fera-t-on comme il faut, sera-t-on soi-même à la hauteur ? Et c’est fébrile que l’on accomplit chacun des mouvements, conscient de leur importance. Jusqu’à ce que succède la sérénité joyeuse à l’excitation. A voté. A choisi. A participé.
En sortant du bureau de vote, il y aura je le sais ce sourire et cette émotion sur son visage. Fierté.
La Tunisie vote aujourd’hui.
C’est historique.
"Quelle histoire, quelle histoire" dirait l'autre ^^
Merci post ! ces élections a l'autre bout du monde sont les élections de tout le monde, premières élections libres dans le monde arabe !
Ps : sur la première image du clip, trottoir de droite... ce sont les fenêtres du bureau de Boillon : )
Faire que le vote devienne universel... une utopie ? Pas sûr !
[...] Le vote océanique | Chouyo's World [...]
[...] une plume aussi éclatante que ses photos qui nourrissent un blog prolifique et luxuriant. A ce billet intitulé « le vote océanique », @Chouyo a joint le clip d’un rap civique célébrant le retour à la démocratie en Tunisie [...]