En France ? Un sentiment de rendez-vous encore raté domine. La revue des édito ICI pourrait être résumée par cette phrase cinglante : « qui n’a pas envie aujourd’hui d’adresser un message chaleureux à ces hommes et ces femmes ? Et pourtant, la France se borne à « prendre acte » ». Parce qu’après les phrases ineptes ou les propos scandaleux de membres du gouvernement Sarkozy, c’est le silence qui a primé dans la classe politique française. Heureusement, et parce que « la liberté est contagieuse » (Madjid Laribi, ancien journaliste algérien), les rues françaises à défaut du gouvernement relaient le message : le 14 janvier 2011, nous étions tous Tunisiens.
Ce n’est qu’après que la France officielle s’est souvenue d’une vocation bien lointaine, s’est souvenue qu’il y avait là un peuple qui lutte dans la rue. Et c’est bien après qu’il a, sous les balles, mis en fuite son dictateur que la France de Sarkozy lui a apporté « son soutien déterminé ». Mais le peuple tunisien, les Français même, n’en voulaient déjà plus…
Dans la région, les pays voisins ? Un frémissement, la crainte et l’envie d’une contamination. La « rue arabe », arrivée à maturité en Tunisie, serait-elle en train de se réveiller ? Certains ont peur, mais on rêve, je rêve, d’un printemps des peuples… Les rues de Jordanie s’émeuvent et le roi prend des mesures d’urgence. L’Algérie remue, grèves, manifestations, immolations… Seul le voisin Khadafi s’est exprimé à cette heure, pour inciter le peuple tunisien à suivre « le modèle libyen de démocratie populaire » : délicieux…La question est sur toutes les lèvres, et Le Caire espérait vendredi une escale de Ben Ali pour prendre à son bord Mubarak pendant sa fuite. A quand la révolution des fleurs arabes…
Et en Tunisie ? Entre le grondement des hélicoptères et les milices armées qui tirent au hasard sur les citoyens-sentinelles qui protègent leurs quartiers et leur vie avec les moyens du bord ? Et bien il y a la peur bien sûr : celle que l’ancienne TV7 à la solde de Ben Ali semble se complaire à montrer (agiter le spectre de la guerre civile fonctionne toujours) et que CNN relaie. En fait, partisans de Ben Ali, policiers en civil et peut-être même prisonniers de droit commun relâchés par le dictateur, profitent de la situation : les milices sont là, prêtes à jouer leur rôle, celui des vautours.
Et les questions s’enchaînent : quel va être le rôle de l’armée, seule à être respectée des citoyens ? quand et comment vont être organisées les élections ? Le jeu des chaises musicales constitutionnelles a commencé, Nawaat en résume bien les points essentiels. Et l’opposition doit prendre ses responsabilités, les oppositions en fait, celles qui se sont exilées, celles qui se sont cachées, celles aussi qui ont été utilisées par le pouvoir : il y a un monde politique à reconstruire, le plus vite et le mieux possible pour ne pas laisser d’anciens apparatchiks et profiteurs s’immiscer dans la brèche. Parce que l’enjeu est là. Parce qu’il faut souligner aussi qu’il s’agit d’une révolution populaire : aucun fondamentalisme musulman, aucun islamiste derrière tout ça. Une révolution de velours, une révolution des œillets, une révolution au doux parfum de jasmin…
Et ce matin dans la presse ? Un édito pour résumer la dictature Ben Ali et sa fin, « le coup de colère qui s’est emparé du pays est profond, rage puisée dans des années d’humiliations et de peur, trop longtemps encaissées en silence », une dictature qui n’était « pas seulement un régime policier brutal, elle relevait de l’autocratie kleptomane [avec] des moyens relevant purement et simplement du gangstérisme ».
Et Marianne de marquer chaque manquement des politiques français : « Quand ils sont à géométrie variable, les principes n’existent plus. Certains disent qu’il ne faut pas trop froisser Ben Ali en raison des bons et loyaux services rendus par la Tunisie dans la lutte contre l’islamisme. A ce compte-là, il fallait laisser opérer Poutine en Tchéchénie, et il ne fallait pas dénoncer la répression chinoise au Xinjiang, en août 2009, contre les Ouïgours. (…) Pourquoi ce deux poids deux mesures ? Cette logique de la non-intervention est la pire qui soit. Jusqu’ici, dans le mouvement populaire qui emporte la Tunisie, les barbus ont brillé par leur absence. Mais rien ne dit que l’on en restera là. (…) Le meilleur moyen d’éviter une telle issue, c’est d’aider les démocrates tunisiens qui luttent contre l’inacceptable, et non de les abandonner aux mains d’éventuels apprentis sorciers ».
Médiapart conclut, une évidence que les Français sont aux côtés des Tunisiens parce que « c’est le Maghreb qui va peut être entrer en mouvement : ce sont trois peuples proche de nous, passionnés et sincères, comme le peuple français, quand il se révolte, et c’est au nom des principes populaires de la république française, encore idéale, qu’on y défend la démocratie et la république sociale. Celle qui fut proclamée au printemps des peuples en mai 1848 et écrasée en juin, rétablie en 36, écrasée en 40 ; rétablie en 44 par le Conseil national de la résistance, en voie d’écrasement actuel ».
Je vous avoue avoir été submergée, émue, passionnée depuis un mois, depuis cinq jours. Parce que Française, parce que amie, parce que historienne. L’impression de voir s’écrire l’histoire sous mes yeux, lisant dans la presse ce que j’avais appris par Twitter une, deux ou trois heures plus tôt. Ce sera mon billet suivant…
Le dernier mot à celui qui subit, veille et espère depuis tous ces jours :
J'ai simplement envie de dire merci ! un grand merci !
Sarkozy et Fillon doivent savoir qu'au moment où ils prenaient timidement "acte" de ce qui se passe en Tunisie sans jamais mettre en cause le régime à qui MAM ne voulait pas donner de leçons, des expats français tenaient avec des tunisiens des barrages pour défendre leurs quartiers des milices de ben ali. La Tunisie sait que la France n'est pas Sarkozy.
@ M1 : la moindre des choses que je puisse faire...
Oh oui. J'aimerais que la France s'en rende compte aussi, qu'elle n'est pas Sarkozy, qu'elle doit être bien plus et qu'elle ne peut plus décemment laisser ce gouvernement la représenter et se commettre de cette manière.
Vivement le "Sarkozy Dégage" en 2012 ; )
@ M1 : oh bon sang, tu sais que j'en rêve... Rien que pour ça, je suis prête à revenir quelques mois en France pour manifester...
je vais être obligée d'organiser une manif pour que tu viennes alors?
@ Patricia : hihihi... non, un simple espresso me ramène à tes côtés 🙂 !
J'espère que M1 a raison. Parce que pour l'instant la France se contente une fois de plus d'être un petit pays. Et une fois de plus ça n'est pas glorieux.
C'est la première fois que je suis des évènements importants d'aussi près par (mes trop rares en ce moment) mes coups d'oeil à Twitter, c'est vrai que c'est assez fascinant !
@ Nekkonezumi : aux Français de prouver en 2012 qu'ils ont compris que ce n'était plus possible, que cela ne l'a jamais été, d'être représentés par des opportunistes sans idéal, sans intelligence autre que politicienne.
Demain, mon billet sur la révolution twittée... 🙂
La France est un petit pays par son gouvernement, mais grand par son peuple.
@ M1 : qui oublie de le prouver presque à chaque élection ? Hinhinhin...
(et très beau travail, j'oublie de te remercier pour ça !)
@ Nekkonezumi : merci... Je crois que je suis faite pour ça. Vraiment.
Merci, 1000mercis pour nous, les tunisiens de Tunisie et partout dans le monde!!
tout n'est pas fini, restons vigilants
@ Whatialike : de rien, vraiment. Si je peux expliciter, aider comme je peux, c'est un plaisir 🙂 !
Absolument : le bras de fer le plus dur ne fait que commencer, sans doute moins sanglant mais qui peut être encore plus dévastateur à long terme... Vigilance, tu as tout à fait raison.
[...] This post was mentioned on Twitter by Fanette. Fanette said: RT: @Chouyo: Tunisie : comprendre et espérer (revue de presse inside) http://bit.ly/gbuCn9 [...]
super article ! et chapeau à M1 que je suis sur twitter !
@ Arwen : merci beaucoup !
Oui, il assure M1... 🙂
Magnifique et très instructive revue de presse. Effectivement, mettre en perspective les discours français d'il y a deux semaines et ceux d'aujourd'hui..
@ Manu : merci... Un moyen comme un autre de mettre à distance, un peu, des évènements tout simplement effarant.
J'attendais un article sur ton blog,je ne suis pas déçue,j'espère que des jours meilleurs attendent le peuple Tunisien et encore une fois on a honte de notre gouvernement!
@ Quenotte : j'espère aussi. Et que chacun se rappelle bien de ce qu'a fait et dit le gouvernement actuel...
Au fait, Sarko n'a pas passé les fêtes de Noël en Tunisie chez son ami, celui qui s'est fait virer par le peuple.
Pourquoi l'entière classe politique n'a pas parlé ? Ils sont tous à la solde du gvt, quoi qu'ils disent.
Bravo à toi
J'ai eu quelques nouvelles sur le blog de Kahina qui habite dans un village. Pour elle, ça va, au contraire de la capitale où malgré tout, tout continue. La vie risque de reprendre d'ici lundi par contre pour les écoles, c'est pas encore décidé
Ne pas oublier le photographe Français qui est décédé en faisant son travail
@ Angélita : merci pour tout ça aussi ! Je pense qu'effectivement, les choses ont été particulièrement difficile à Tunis, à Sfax, à Bizerte aussi je crois. Moins dans les villages, parce que moins de confrontation avec les milices.
La classe politique a trop d'intérêts privés pour prendre le risque de s'opposer. C'est méprisable...
Une pensée à ce photographe et à sa famille...
Je sens poindre de l'espoir pour 2012. Malgré tout je ne me fais pas d'illusion. Il sera encore au pouvoir, malheureusement car il n'y a personne pour le contrer à part la fille Le Pen et là, c'est pire.
@ Angélita : moi je n'en vois pas beaucoup d'espoir... Je vois un beau duel droite sarkozyste et extrême-droite néo-lepéniste...
Je n'ai même pas encore téléphoner à mon papa pour savoir ce qu'il en pensait...il doit être ému (et un peu inquiet aussi)je pense.
La Tunisie est un pays que j'aime profondément (et pas pour ses plages de Djerba. Enfin pas que ça ^^)
@ Pivoine : oui, ému et inquiet, tu as raison. Tu lui as demandé finalement ?
merci pour ce très beau post,j'a suivi ces évènements de tout mon corps,le réveil tunisien a été bien long,que de souffrances,que de tortures, que de sang...et sarko (je mets meme plus de majuscule a ce vilain mot)pfff .
Je tremble déjà pour 2012 avec la blondasse -fille a -papa qui monte qui monte qui monte.En espérant que la France se réveille aussi et qu'elle ne tombe pas encore plus bas ,que bas...
En tout cas merci peuple tunisien de rappeler a tout le monde que la mobilisation,ça paye!
@ Zaneema : c'est exactement ça, tu as raison. La mobilisation, ça paye mais il faut de la persévérance politique et de l'espoir. Et les deux font défaut depuis longtemps en France...
Bravo pour ton article!!!!
J'ai lu que la famille de Ben Ali était partie un peu avant lui, en France, dans un hôtel à......... EURODISNEY!!!!!!!!!! En attendant de le rejoindre ailleurs!
http://www.leparisien.fr/seine-et-marne-77/des-membres-du-clan-ben-ali-refugies-en-region-parisienne-15-01-2011-1228072.php
Je n'ai pas relu les infos pendant l'après-midi mais quand même, symboliquement, ce choix là est particulier!!!!!
Amusons-nous pendant que le peuple se révolte!!!!!
@ Le Journal de Chrys : oui, tout à fait ! Une manière d'aller se cacher là où on les attendait le moins...
Wow, alors ca c'est du magnifique boulot. Bravo.
J'avoue que Kadhafi me surprendra toujours.
Et dans un autre genre, un tag avec du cadeau inside http://angie.bleublog.lematin.ch/archive/2011/01/17/test-elle-fr.html
@ Angie : merci beaucoup !
Oui, heureusement qu'il est intervenu, cela commençait à devenir pas drôle, hinhinhin... 😉
La vie serait nettement moins drôle sans Kadhafi et c'est une suissesse qui te le confirme. 🙂
@ Angie : mouahahahahah !
Is that really all there is to it because that'd be flabebragistng.
HR5Gts mrbtvxwskqvm
Bravo !
@ Patricia : merci 🙂 !
super post. L'enjeu est de taille là-bas et les français frissonnent pour un peuple en train de reprendre son destin en main: la route est longue mais nous savons qu'ils peuvent le faire,et devenir un exemple pour leur voisin; enfin un message positif...Quand à nos poilitiques, une fois encore la France officiel n'est pas : "les français" eux, solidaires, à mon avis dès les premières heures, du peuple tunisien; j'espère qu'ils le savent.
@ Lydsistrata : c'est exactement ça, un message positif et qui a été entendu semble-t-il... Oui, tu as parfaitement raison et je pense que les Tunisiens le savent : les Français espèrent la liberté, le mieux-être sans les contreparties dictatoriales. Dommage qu'ils soient si mal représentés en matière de diplomatie...
bravo, je suis éblouie.
@ Patricia : hihihi ! Ton premier commentaire était parti en indésirable, va savoir pourquoi...
Milles bravos ! pour ce billet , il faut suivre cette affaire de près car il y a encore des loups qui rodent dans ce beau pays. Mais quelle belle liberté qui vient, qui va durer je l'espère, nous l'espérons tous.JG;
@ Jean Georges : merci beaucoup ! J'espère aussi, je crains comme tous la confiscation, les prêches de retour au calme sans que la suite politique soit assurée, transparente et libre...
Même avec quelques jours de recul, l'émotion est toujours là...
J'admire ton post, puissant, clair, synthétique.
@ Madame Kévin : merci beaucoup !
Et venant de toi, le compliment prend toute son importance.