[Me voici revenue de Calcutta, où j’étais dans l’endroit le plus sur-sécurisé d’Inde et, par la même occasion, dans « THE place to be« . Pour de vrai. Sache que des millions et des millions d’Indiens m’ont enviée pendant deux jours, car j’ai dormi, pris l’ascenseur, me suis baignée et ai mangé avec les équipes nationales de cricket d’Inde et d’Afrique du Sud. Autour de nous, des militaires armés jusqu’aux dents, des policiers et des agents en civil arpentaient les couloirs. Pendant ce temps, un attentat visait les étrangers à Pune…]
Un tigre indien, photographié comme il se doit au Bengale…
L’année du Tigre commence, et depuis mon séjour à Taïwan, le Nouvel An chinois fait plus sens dans mon univers que le Nouvel An calendaire. Peut-être parce que les festivités et la ferveur sont alors plus importantes, que personne ne songerait à les dénigrer ou encore parce qu’il ne fait pas partie de ma culture d’origine… Toujours est-il que je m’interroge : après l’Inde, en viendrai-je à fêter mon Nouvel An (la rentrée scolaire de septembre), le Nouvel An chinois (janvier-février), le Nouvel An calendaire (1er janvier) et Rosh Hashanah (septembre), mais aussi Diwali et la nouvelle année hindoue (octobre-novembre), le Nouvel An sikh (mi-avril), le Nouvel An musulman (fin d’année) et le Nouvel An parsi (mi-août) ??? Pourquoi pas finalement, ce sont autant d’occasion de manger…
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Mais tout cela n’a presque rien à voir avec ce dont je voulais te parler. Ce qui m’intéresse aujourd’hui, c’est la manière dont l’Inde voit la Chine, ces deux pays qui ont mis sur un piédestal le tigre.
Et tout d’abord, allons à l’essentiel : la Chine n’a absolument rien à faire de l’Inde. Et même, regarde l’Inde avec une condescendance assez moqueuse : ce pays, dont elle reconnaît la civilisation ancienne et lettrée (印度, yindu, c’est réfléchir sur le sceau, le signe scriptural par excellence), reste aussi celui où l’on mange avec les doigts, comble de la barbarie pour les Chinois.
Du côté de l’Inde, le rapport avec la Chine est plus complexe : envers son adversaire militaire et économique (tensions frontalières comme commerciales, en Afrique et en Asie), l’Inde s’inquiète. La fébrilité est palpable à la fois dans les quotidiens, économiques notamment, et dans les propos de la classe moyenne. Et comme l’Inde a pour habitude de se mesurer à l’autre dans une dialectique de « ki c k’a la + grosse », qu’il s’agisse de politique, de diplomatie, de patrimoine ou de rapports humains, tu imagines sans peine le contenu et l’impartialité des propos : conversations et débats ne volent pas haut… L’indifférence pratiquée par la Chine n’éclaire pas beaucoup plus les débats d’ailleurs.
Il est fréquent que les journaux indiens comparent les mérites des deux pays (ICI par exemple, la version d’un Américain, étonnante par le fossé régnant entre les indices (obtenus on ne sait pas trop comment) et la réalité quotidienne) ; dans ces cas-là, la rédaction à peine propagandiste s’ingénie à rassurer au mieux ses concitoyens, quand bien même faudrait-il recourir à des arguments cousus de fil blanc. L’important est de ne pas s’inquiéter, d’être sûr de sa supériorité et de conclure avec des éléments ressassés jusqu’à la nausée : au moins en Inde, il y a liberté de la presse (tu vois à quels coûts intellectuels), on s’y soucie avant tout de l’humain (triple-mouahahahah ! Du bien-être de la classe aisée, ça oui, et surtout que son statut ne change pas au profit d’une plus large égalité…), de la démocratie (hypra-mouahahah ! Gagnée à coups de manipulations, de corruption et de grille-pain gratuits) et de réseaux sociaux qui fondent la solidarité et l’intégration de l’individu à la société… Dernier argument qui dénote au mieux une vision angélique de leur propre pays (les réseaux sociaux de solidarité indiens ? Ils sont avant tout fondés sur l’exclusion parce que tributaires des castes, sous-castes, religions , régions et villages d’origine) et en contrepartie d’une méconnaissance profonde et absolue de la Chine, dont on ne semble connaître que les cadences infernales, la dictature socialiste et la destruction environnementale.
Pourquoi tant d’inquiétudes ? Parce qu’au jeu de ki-k’a-la-+-grosse, la Chine peut vraiment rivaliser avec l’Inde : plus peuplée, plus grande, aussi ancienne, aussi importante culturellement…
Plusieurs fois, parce que je connais la Chine, un peu sa langue et sa culture, j’ai eu droit à des questions, fébriles et angoissées. Récente conversation dominicale avec un collègue de Tac (hindou brahmane de la classe moyenne, très éclairé et parlant bien anglais, ayant émigré à Bombay depuis un Etat voisin et travaillant pour une grande entreprise française. Mais, comme bien souvent dans cette frange de la population fer de lance de la « modernité » indienne, n’ayant jamais mis les pieds hors du pays, même pas au Népal ou au Sri Lanka voisins. Question de moyens et d’occasion sans doute…) : « et en Chine alors, comment c’est ? C’est moderne ? Ils font attention à l’environnement ? ».
Je suis toujours des plus critiques sur la Chine, tout autant que sur l’Inde. Mais sur ces points-là, je n’y vais pas par quatre chemins : je ne suis pas un média indien et n’ai pas à le rassurer. En comparant les trois pays BRIC que je connais bien, je peux lui répondre que, non, l’Inde est très très loin des standards chinois (et brésiliens, à part en terme de sécurité quotidienne), dans les villes notamment et dans une moindre mesure dans les campagnes.
Prenez les deux villes les plus avancées/modernes/importantes de l’Inde (Delhi-Bombay ou Bangalore), et vous ricanerez en les comparant à Shanghai, Hongkong et Pékin (oui, même Pékin). Des transports urbains modernes, efficaces, des travaux partout certes mais des finitions largement meilleures en Chine. Du bruit, mais moins qu’en Inde. Les Chinois ne s’illusionnent absolument pas sur les catastrophes environnementales qu’ils ont provoquées, vues comme une nécessité par laquelle il fallait passer, mais les projets sont actuellement légion pour y remédier (avec une grande part de manipulation à l’égard de l’Occident, bien sûr). En Inde, où les catastrophes environnementales sont tout aussi nombreuses, on parle surtout beaucoup, avec les effets de manche appropriés et surtout on ne veut rien faire qui puisse sembler avoir été dicté par les Occidentaux. On le constate chaque jour : en tout ce qui touche son essence et son être-au-monde, l’Inde a une capacité étonnante à s’illusionner qui, si elle n’était pas aussi affligeante, serait désopilante…
Dépité, le collègue regrette le réconfort qui n’est pas venu. Je ne cherche pas à le blesser, mais aimerait que lui au moins prenne conscience que, malgré ce que clament les journaux indiens (tous très nationalistes, chauvins et cocoricotants ce qui est pour le moins inattendu tant on nous rebat les oreilles qu’en Inde, la liberté de la presse est réelle), malgré la manière dont les politiques se gargarisent de réussites dont on ne sait où se trouvent les indicateurs, l’Inde a effectivement encore beaucoup, beaucoup à faire. J’aurais aimé qu’il comprenne que la question n’est pas de savoir si l’Inde dépasse la Chine, mais plutôt qu’il faudrait enfin grandir, devenir adulte et arrêter de jouer à savoir qui a la plus grosse…
Et les gens ? Je ne sais pas s’ils sont plus heureux en Chine ou en Inde. D’un côté, la parole est réprimée, les billets circulent et les révoltes se multiplient et tout professe la nécessité d’aller plus loin et plus haut ; de l’autre la parole est libre, les billets circulent tout autant et la population est instrumentalisée pour des causes corporatistes dans le cadre d’un pensée résolument fataliste et à-quoi-bon-iste. Dans les deux cas, l’édifice ne tient que parce qu’une toute petite minorité écrase contre terre la tête soumise de la majorité (en appuyant bien).
Courage et solidarité, ce sont les deux ressources principales du Tigre, signe zodiacal de cette nouvelle année. Indiens et Chinois font indéniablement preuve de courage. De solidarité en revanche, c’est une toute autre histoire…
« Lao shi hu » : le tigre (maison des Qiao, Pingyao, Shanxi).
* « Xin nian kuai le ! », joyeux Nouvel An !
Bon ok: Inde, Chine... mais la question, la seule, la vraie, la plus fondamentale et qui nous préoccupe tous c'est:
OU KON MANGE LE PLUSSE MIEUX???? En Inde ou en Chine????
CÉKI KA LA PLUSSE BONNE GASTRONOMIE???? La Chine ou l'Inde???
Alors???
@ Spike : excellente question, la seule valable tu as raison 😉 !!! Merci de me remettre dans le droit chemin de la recherche de la vraie vérité vraiment intéressante, hihihi !
Je ne peux absolument pas répondre à ça, c'est horrible !!! Deux styles qui n'ont absolument rien à voir entre eux, deux techniques complètement opposées, et comme on se régale tellement dans l'une et l'autre !!! On mange mieux dans la rue en Chine que dans les restaurants (sauf les très très très huppés) ; on mange bien dans la rue en Inde, extrêmement bien dans les boui-bouis et cantines, moins bien dans les restaurants (et les très très très huppés ne sont pas nécessairement meilleurs). Les marchés sont beaucoup plus variés en Chine (question de viandes) mais la créativité à partir d'un même légume est dingue en Inde.
Argh, là, je sens que ma capacité à choisir est totalement figée !!!
Miam. En tout cas, ça me donne faim.
De l'extérieur, je suis quand même davantage tentée par un voyage en Inde qu'en Chine.
@ Le Journal de Chrys : malheureusement et heureusement à la fois, Inde parvient à produire l'image d'un pays passionnant, accueillant, chaleureux, mystérieux (image que n'arrive pas du tout à diffuser la Chine). De ce fait, on se sent beaucoup plus incité à le découvrir, et il est absolument vrai que ce pays est passionnant, avec en plus un patrimoine culturel beaucoup plus varié qu'en Chine (en terme de vestiges notamment).
Sauf qu'à l'arrivée, c'est le choc. Il n'y a rien de mystérieux et d'accueillant en Inde, c'est la lutte et la loi du plus fort à chaque instant, à chaque parole, à chaque acte : le voyageur le découvre en posant le pied sur le sol indien (à part à Goa peut-être). Le voyage en Chine est beaucoup plus simple, moins dangereux aussi à bien des égards, moins exaltant c'est sûr (cela demande beaucoup plus d'investissement personnel, en fait).
Les deux pays sont passionnants de toute manière, et valent le voyage 😉 !
C'est une excellente analyse ! il y a un point important : les chinois ont de loin une plus grande culture de la discipline, de la perfection et de la performance.
En attendant, c'est le Pakistan qui à le "Akbar Zeb" : )
Sinon ne me dit pas que t'as claqué la bise à Jemima ?? : )
@ M1 : oui, absolument, l'Inde n'a pas cette culture-là, c'est plutôt la nonchalance... Très désagréable à certains moments et exceptionnellement relaxante à d'autres, détente que l'on ne ressent à aucun moment en Chine.
Mouahahahahah, je vais éviter d'aller raconter ça à des Indiens, qu'ils n'ont plus à chercher car le "akbar zeb" est au Pakistan, hihihi !
Héhéhéhé... Nan, des Sud-Africaines seulement...
Ben disons que l'inde est beaucoup plus "créative" que la chine dans plusieurs domaines, il leur faut juste un peu de discipline, mais en même temps, tu te dis qu'ils deviendraient tellement tristes : )
Les pakistanais ne veulent pas tenter d'envoyer leur "akbar zeb" en poste en inde? je suis sûr qu'ils apprécieraient la blague : )
T'as vu Charlize?? : )
@ M1 : la capacité à rire des blagues s'arrête à un moment donné... notamment quand tu dis "Pakistan" en Inde, héhéhé...
100% d'accord !
@ El Fennec : et cela ne m'étonne pas 😉 !
Merci pour cette analyse que je partage avec toi, malgré le fait que je connaisse moins ces deux cultures que toi. Mais cela ne m'étonne guère au fond. Par contre le pays qui gagne haut la main le "qui qui qui à la plus grosse?", est sans conteste Singapour 😉
Imaginons que le pays détienne le mur le plus haut du monde. Demain, un autre pays le dépasse. Si ce mur est bleu, ça sera le mur bleu le plus haut du monde. Et si par hasard, ce mur bleu est une nouvelle fois détrôné, ça sera le mur bleu en brique le plus haut du monde et ça peut aller loin comme ça 😉
@ Faustine : cela ne m'étonne pas ! Cela ne m'avait pas trop choquée quand j'y étais allée, mais je n'avais peut-être pas été très attentive à ça. J'aime beaucoup la manière dont tu décris cette "fuite en avant", hihihi !
J'aurais pourtant dit que c'était le Japon qui fonctionnait le plus comme ça : chaque temple est forcément "le plus" de quelque chose (le plus grand temple en bois, le plus haut temple, le plus grand et haut temple à la fois etc.).
Cette analyse est juste g-e-n-i-a-l-e.
Et je pese mes lettres (t'as vu).
Le fosse est enorme entre les deux plus grandes civilisations du monde actuel (par leur nombre), mais ni les uns ni les autres n'ont rendu visite a leur voisin.
Et si nombreux sont les Indiens qui partent a l'etranger pour travailler, peu sont ceux qui reviennent avec un veritable recul sur leur pays...
@ Djoh : merci beaucoup ! Et effectivement, tu as pesé les lettres 😉 !!! Et j'apprécie d'autant plus ta remarque que je n'ai toujours pas répondu à ton mail d'il y a... pffffffiou... au moins tout ça, désolée !
C'est exactement ça : ils ne se sont pas rendu visite, ils n'ont pas poussé la porte, et alors que les Chinois par exemple voyagent énormément en Asie du Sud-Est, je n'en ai pas encore croisé un seul en Inde (des Japonais, des Coréens, /un ou deux Taïwanais, oui). Ce qui est bizarre c'est effectivement l'absence de recul après une expatriation (et c'est la même chose avec les étudiants chinois partis à l'étranger pendant quelques années) : au retour, les choses redeviennent comme avant semble-t-il !
tu es mûre pour le bouquin! 🙂
@ Miss400 : naaaan, le créneau est déjà pris... Mais pas sur les deux gastronomies en revanche...
Décapant. Et très juste.
@ Olivier Da Lage : bienvenu ici, et merci beaucoup !