[Un peu en retard, voici ma participation au Bombay Blog ce mois-ci ; pour lire les autres billets, allez voir ICI !]
Quitter Bombay est depuis le premier jour un pensum : pas quand il s’agit d’aller vadrouiller, en Inde ou ailleurs, mais plutôt quand il s’agit de passer des vacances en France. Pas de soulagement, mais plutôt du stress (vais-je rentrer dans mon jean, dans mes bottes ?) et un emploi du temps de ministre. Rendez-vous amicaux et médicaux, visites familiales, trajets onéreux et fringales multiples de produits étranges (les abats et les venaisons, les endives, la meringue) et d’achats encore plus étranges (valises remplies de chocolat pâtissier, de levure boulangère et de produit pour déshumidificateur (moins cher en France)).
Au large de Haji Ali.
Quitter Bombay, c’est entrer dans la phase du Bombay Blues, inéluctable chez moi. Entendre cette musique lancinante dans l’oreille qui donne à penser et à languir…
… la frénésie. Celle des images qui se collent aux rétines, la vache incongrue devant l’hôtel de luxe, les chèvres gambadant entre les scooters garés, les tenues des gens dénotant leurs origines multiples, leurs histoires, leurs contes, leurs rêves.
… la chaleur. Même si, combinée à l’humidité, elle est parfois très désagréable, ce sont le ciel bleu et le soleil resplendissant qui manquent, la possibilité de ne jamais porter un quelconque gilet et de pouvoir se promener à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit en tenue estivale.
… la surprise. Chaque jour, la découverte d’un nouveau bâtiment, somptueux et caché au fond d’une ruelle délabrée et sale, d’une nouvelle échoppe dans un immeuble décati, d’un artisan passionné et passionnant. Assister à une course de chevaux un dimanche après-midi ou croiser des centaines de jeunes allant au grand temple de Ganesh, pieds nus, à 2h du matin un jour qui n’est pas fête…
Au Mahalakshmi Racecourse, un dimanche.
… l’assurance. Être Occidentale confère un statut en Inde dont il ne faut pas négliger l’effet exaltant. Malgré les photos prises à la sauvette par les mâles en goguette, l’image dégradante ou les prix plus élevés, cela assure aussi des marques de « respect » extérieur, confère une autorité certaine et conduit à être invitée à passer devant tout le monde dans les files d’attente, à la douane et à bénéficier des petits soins des managers dans les boutiques, les restaurants et les hôtels. Produits et services ne coûtent que le dixième du prix français, on se sent bien plus « puissant ». Toute cette nouvelle aisance manque rapidement sorti de Bombay et d’Inde : où sont les chauffeurs de taxi, les porteurs, les aides multiples et les privilèges ??? Ce sentiment d’être à part, on y prend goût et il manque quand on revient à la réalité. Mais pour pallier à ça, je tâche de me rappeler chaque jour l’origine de ce privilège : la couleur de la peau et le statut d’un côté, la crainte et la soumission de l’autre. L’inégalité confirmée et prolongée.
… d’être chez soi. Je n’ai pas de chambre, de maison, de foyer qui m’attendent ailleurs. Je n’ai pas un pied ici, un pied là-bas. J’habite Bombay, pleinement, quotidiennement, sans me projeter ailleurs ou sans attendre le « retour » temporaire ou définitif en France.
En haut de cet escalier, une des galeries d’art les plus prestigieuses de Bombay.
D’où le Bombay Blues, qui me tenaille pendant mes vacances en France et disparaît une fois le pied chaussé de sandales poussiéreuses battant le pavé inexistant des trottoirs encore plus inexistants de cette cité posée sur la mer d’Arabie…
Tout ce que tu nous raconte sur Bombay me donne ne vie de découvrir cette citée, et plus largement, à te lire, je ressens un besoin d'habiter "ailleurs". Pas que je n'aime plus mon pays, loin de là, mais même tes moments de mélancolie, tes questionnements, me semblent une expérience riche et utile à connaitre. Tu as un regard différent, plus élaboré en quelque sorte.
@ Océane : peut-être un jour ? Oui, on apprend des choses sur soi-même, on en perd aussi. On se refait en quelque sorte. Je ne sais pas en revanche si ce sentiment d'étrangeté à soi et au lieu où l'on se trouve et qui est apparu disparaît ensuite ?
Les vaches qui déambulent dans les rues te manquent en France, c'est vrai ?
@ Madame : j'avoue, ouiiiiiiiiiiiiiiiii !
Quand tu parles de l 'assurance, des privilèges qu'offre to statut, ta position, tu fais intervenir la couleur de peau comme en étant l'origine première . Je sais que ça joue, pour être une lectrice accro des Bombay blogueurs .
Mais ne crois tu pas que la couleur de peau qui t'ouvre des portes et diminue les files d'attendre est juste le signe de ta richesse
( relative certes ^^ mais là bas elle est bien réelle ) et donc pas basée sur des préceptes raciaux ou post coloniaux ?
( à l'inverse de celle qui est exprimée dans les représentations de la femme occidentale dans les magazines et les clips, qui elle est raciste et cultuelle ).
J'écris mal, je sais mais j'espère que tu comprends quand même ma question...^^
Bonne Année : )
@ Flo : bonjour, lectrice du Bombay Blog 😉 !
Je comprends tout à fait ce que tu veux dire, et c'est justement une très bonne question, que nous nous posons tous ici. De ce que je vois et comprends, il est malheureusement réellement question de couleur de peau : un Indien riche (on le voit à ses habits, à son comportement, à une certaine arrogance parfois) fera la queue (s'il n'a pas envoyé quelqu'un à sa place...) ou paiera pour la doubler. Les Occidentaux, même mal habillés, avec sandales, dreads locks et habits "traditionnels" seront accueillis avec le sourire dans un hôtel de luxe, ce qui ne sera pas le cas d'un Indien issu d'une catégorie pauvre de la population, même habillé décemment. Dans les foules des aéroports, quand on doit passer les bagages à la douane, les douaniers repèrent les Occidentaux parmi les dizaines et dizaines d'Indiens à... la couleur de la peau, et les exemptent de rayons X (oui, on doit passer les bagages aux rayons X à l'arrivée !).
Alors bien sûr les deux sont liés : qui dit Blanc, dit argent. D'où les frustrations parfois quand certains Occidentaux font attention, sont économes et rechignent à payer le double du prix réels ! Les deux critères se mélangent, mais au final entre une Indienne très riche et bien habillée, et une Occidentale sans le sou mais mignonne, une seule rentrera dans la boîte de nuit huppée. Celle qui aura la peau la plus claire. D'où le fait que toutes, absolument toutes les crèmes de beauté, les soins et traitements en spa et salons sont "whitening". Les Indiens, depuis bien avant la colonisation, avaient déjà cette vénération et ce respect pour les peaux blanches, comme dans les sociétés européennes ou asiatiques de l'époque : peau blanche = ne travaille pas dans les champs = a du pouvoir, de l'argent. Même quand ce n'est pas vrai. Alors effectivement accorder des privilèges aux Occidentaux, c'est s'attendre à bénéficier de leurs richesses parfois, mais que dire dans les cas où il n'y a pas de rémunération (à la Poste, à la douane etc.) ?
Question très intéressante en tout cas, je continue à creuser !
A très bientôt, et bonne année à toi également !
Chouyo,
Merci beaucoup pour ta réponse !
Charmante et ... Très claire malgré la profonde délicatesse et la complexité du sujet .
à bientôt pour creuser ensemble
ce sujet et d'autres : )
De rien, c'est un plaisir 😉 !
Aujourd'hui encore, en lisant le journal, j'ai trouvé encore d'autres arguments qui manifestent cette différenciation ; la question était posée, sous un autre angle (je vais en parler demain ou après-demain) tout aussi délicat, voire plus, mais entrait encore dans cette réflexion.
A très bientôt !
ON voit que tu es une vraie Bombay...bombayien...comment on dit, ça, une habitante de Bombay ?! 😀
En tout cas la photo de cet escalier vétuste est splendide, ainsi que ton texte !
@ Kahlan : Bombayite. Ou Mumbaïkar. Mais je préfère Bombayite, héhéhé... Merci beaucoup ! J'ai adoré cet escalier, il y en a de magnifiques dans le même genre, j'adore les photographier (bizarrement, ils conduisent la plupart du temps à des galeries d'art : est-ce fait exprès 😉 ?).
Quelle richesse en effet de pouvoir vivre ailleurs et d'être capable de ressentir tout ce que tu décris là.
Le sentiment de "puissance" cependant me laisse perplexe, parce que certes, on ne fait pas la queue, on nous donne même la places d'indiens dans les trains(!!!) au moment où il n'y a plus de place pour nous quand on prend notre ticket, mais... tout cela n'est pas juste tout de même! Ce serait bizarre si on faisait la même chose en France non?
@ Spike : absolument d'accord ! C'est bien pour ça que j'essaie de refuser (quand un caissier me fait passer devant par exemple, ou dans la queue à la Poste, ou dans les magasins) parce que c'est absolument injuste et cela repose sur un critère raciste de fait : les queues pour les femmes, bon, s'ils veulent. Pour les personnes âgées, OK. Pour les étrangers parce que cela implique certaines procédures, d'accord. Mais faire passer devant tout le monde l'Occidental, au lieu de le faire attendre comme les autres ? Comme tu le dis, cela tombe parfois à pic (tiens, on t'a donné la place d'un Indien dans un train ??? Coquine !) mais c'est absolument scandaleux et ce genre de passe-droit implique qu'il y a bien d'autres passe-droits, encore et toujours. Et ça m'énerve que l'on s'en serve (moi comprise) et que l'on oublie que cela repose sur un mauvais critère, absolument illégal !
Pfiouuuu, je n'imagine même pas si on faisait ça en France... Ah, madame, vous êtes blonde, passez devant. Mouahahahahahahahah !
Et bé, je ne pensais pas qu'il existait une "Bombay nostalgie".. Grâce à toi je l'ai découvert..
@ Manu : imagine-toi que je ne pensais pas non plus qu'elle existait, hihihi ! Mais très rapidement, j'ai découvert que cette ville manque énormément : son côté fou, dynamique, insupportable...
Je crois que je vais réfléchir sérieusement à la proposition qu'on m'a faite de passer un peu de temps dans le sud de l'Inde pendant les vacances d'été....
@ Le Journal de Chrys : hihihi ! Dans le journaux : "on constate une croissance gigantesque des voyages vers l'Inde chez les blogueurs...", mouahahahah ! l'Inde du Sud, c'est vraiment chouette : c'est l'Inde que nous avons découverte au début, avant de s'installer à Bombay, et nous avons adoré (plus facile au premier abord que l'Inde du Nord). Tiens-moi au courant si tu viens !
En fait, on voulait absolument partir un jour précis vers je sais plus quelle ville à cause d'une correspondance d'avion à prendre, seulement, plus de place dans le train: "allez à ce guichet spécial pour étrangers" on nous a dit: et là, le type du guichet au lieu de mettre nous sur liste d'attente, a fait sauter la place de 3 personnes (indiens) qui avaient déjà payé et réservé leur place! Du coup nous avons pu monter dans ce train.
Imagine la même chose en France avec des touristes américains par exemple! (ou les blondes oui!!!!) Scandaleux comme principe
@ Spike : c'est vrai qu'il y a aussi le surbooking sur certains. On peut réserver deux fois une place, et quand tu es étranger tu as le "tatkal" (des places plus chères et prévues pour les étrangers). Mais qu'il ait annulé de fait les places des Indiens, c'est dingue. Et scandaleux (même si vous auriez manqué votre avion), absolument !
Mais tout fonctionne comme ça ici, il suffit de hausser un peu la voix, d'aligner l'argent ; le pire, à mon sens, c'est quand on ne fait rien et que parce que l'on est Occidentaux on obtient les privilèges : là, je me dis "bon sang, l'inégalité et les privilèges sont totalement ancrés dans la culture". Et cela m'énerve au plus au point.
Il est superbe ton post ! tu dis les choses comme tu les sens et ça donne un post intime qui nous fait vivre le pays !
Bravo, tu devrais continuer ce post en.. roman !!
@ M1 : merci beaucoup ! Un jour peut-être... 😉
J'aime beaucoup ce billet, ainsi que la photo de l'escalier.
@ Ginie et son paillasson : merci ! Je n'ai pas résisté à le photographier tant il représente le Bombay que j'aime.
Dis moi, ça fait combien de temps que tu vis la bas ?
@ Faustine : cela fait un an, et un étrange sentiment m'a saisie dès le premier retour de voyage (un mois et demi après notre arrivée...), où je me suis dit "ahhh, enfin de retour à la maison !". Puis le Bombay Blues, à chaque fois que je suis allée en France...