L’Eléphant et la Maruti de Radhika Jha, cela pourrait être l’Inde résumée en deux concepts : l’animal sacralisé, la superstition et les traditions ritualistes omniprésentes, et la voiture moderne, le luxe motorisé revu à l’indienne, la réussite rapide, le décollage économique (qui se fait toujours attendre pour 80% de la population). Un très beau titre donc, une belle image mais une lecture en demi-teinte.
Ce petit recueil de « fictions de Delhi », comme l’a sous-titré l’auteur, révèle par de nombreux traits une écriture encore jeune, mais il y a en revanche une certaine pertinence, qui en fait l’intérêt, dans le portrait que dresse Radhika Jha de Delhi.
Trois nouvelles donc, assez linéaires et narrées dans un style peu personnalisé, dont je n’aurais rien retenu et que j’aurais replacées dans la bibliothèque si ce n’est qu’elles posent une question qui m’a taraudée : Delhi ? Delhi ??? Car cette ville est l’exact contrepoint de ce que j’aime, et réunit à peu près tous les éléments négatifs que je ressens en Inde. Et c’est en allant à Delhi que chaque fois je comprends à quel point j’ai Bombay chevillée au corps ! Quand bien même les sirènes de l’immobilier (moins cher, plus spacieux, moins humide) ou les attraits d’une scène culturelle censée être plus diverse miroitent devant nous, nous avons poussé un soupir de soulagement en la quittant, soupir rehaussé d’une exclamation très claire : « Ouf ! Nous n’y habitons pas ». Peut-être est-ce aussi parce qu’il faut toujours un contrepoint pour se satisfaire de ce que l’on a, hinhinhin…
Toujours est-il que si tu comptes mettre un pied à Delhi, au début d’un périple en Inde par exemple ou pour y vivre quelque temps, les nouvelles de Radhika Jha donnent une image très réaliste de cette ville, de son ambiance, de sa vie quotidienne. Elle ne t’y parle pas des quelques larges avenues ou des arbres qui les bordent, elle n’évoque pas du tout les magnifiques monuments moghols qui s’y trouvent : c’est la poussière qui recouvre tout, la misère collée aux pare-chocs, les regards vides et l’agressivité ambiante qui ont retenu son attention. La seule ville en Inde où je ne me sois pas sentie en sécurité (et pourtant, je me suis baladée dans nombre de métropoles de pays en voie de développement).
Ses personnages sillonnent la ville, uniquement dans leur voiture, personnage principal de la vie urbaine indienne qui a relégué l’éléphant aux marges, et chacun de raconter son histoire. Chaque portrait est alors l’occasion de rendre compte d’une facette de cette ville, ceux qui sont venus y chercher fortune, les migrants des autres Etats, ceux qui déplorent la décadence de Delhi, ceux qui la vénèrent, ceux qu’elle exaspère. Ceux qui travaillent, ceux qui mendient, ceux qui ont réussi et ceux qui se font, minutieusement, méticuleusement, écraser par la ville. C’est ce procédé que Radhika Jha utilise dans la seconde nouvelle, « L’Espoir », où la succession d’histoires personnelles témoignent de la diversité de Delhi, « déesse » sous le patronage de laquelle tous se placent. C’est un peu facile, et cela n’aboutit pas vraiment, non plus que « Le mariage », qui s’intéresse à une certaine élite, un peu dévoyée, à travers la figure d’une femme à la sensualité exacerbée.
Ce portrait de la société indienne urbaine, on le trouve dans presque tous les romans indiens. Mais, c’est avec la première nouvelle, au titre éponyme, que Radhika Jha émeut et surprend malgré un rythme très inégal : l’histoire poignante et tellement vraie, celle que l’on sait être l’histoire de nombre d’hommes et de femmes que l’on croise en Inde chaque jour, d’un cercle vicieux qui n’en finit plus de recommencer. Naître dans un bidonville, la rudesse et l’agressivité des comportements quotidiens, un petit boulot, une extorsion par plus puissant que soi, plus installé dans la société, celui qui a le dernier mot et qui ne s’inquiète pas d’une petite injustice, ceux en qui l’on a placé sa confiance qui se révèlent être encore plus vicieux (la police), et la lente dégringolade, l’humiliation, la peur.
Alors oui, ce recueil témoigne d’un style et d’une maîtrise de la nouvelle encore jeunes, mais l’authenticité avec laquelle Radhika Jha décrit Delhi font de L’Eléphant et la Maruti un petit recueil intéressant pour mieux visualiser cette ville.
Merci pour cette analyse très fine! Malgré les défauts que tu lui trouves, j'ai envie de découvrir ce livre. J'ai lu cette été "Suite Indienne" de Paul Theroux, 3 nouvelles qui traitent entre autres de la de la désillusion des voyageurs en Inde... j'ai beaucoup aimé la nouvelle 2 et 3. Le connais tu?
Beaucoup d'occidentaux préfèrent Mumbai à Dehli, comment expliquerais tu cela? Mumbai est elle plus proche de l'environnement que nous avons ici à ton avis? Les gens sont ils "plus cools"? J'aimerais bien que tu en parles un peu plus un jour!
@ Spike : si tu le lis, dis-moi ce que tu en as pensé !
Quant à "Suite indienne", c'est très drôle parce que Tac bien vient de finir de le lire et l'a trouvé, waouw, décapant ; avec quelques petites erreurs, mais un point de vue vraiment très réaliste (il m'a dit en revanche qu'il avait trouvé certains moments moyennement traduits, je vais essayer de le trouver en anglais pour voir) et décapant.
Excellente idée de comprendre la différence Delhi/Bombay, je vais réfléchir à ça ; mais une chose est sûre : le pendant de Bombay est pour moi Calcutta, l'autre ville fascinante de l'Inde je pense ! J'ai adoré, je me suis vue y vivre, j'ai été conquise !
Je note le titre, je rajoute à ma méga PAL, mais j'adore cette collection, je ne serais pas déçue je pense, et tu es convaincante !
@ Océane : en fait, c'est un livre ibntéressant quand tu veux aller à Delhi ou comprendre la ville ; sinon, il y a des romans beaucoup plus intéressants et bien mieux écrits sur l'Inde (tu peux aller regarder dans la section "Culture" de mon site : www.passagetomumbai.com).
[...] L’avis de Chouyo [...]
Merci pour cet article, au-delà de la critique de ce livre que je ne connaissais pas, tu donnes encore un autre aperçu de l'Inde et de ses facettes.^^
@ Kahlan : merci à toi de m'avoir lue ! La littérature sur l'Inde est gigantesque et faire le tri est parfois un peu difficile...
C'est Les pintades à Delhi? : )
@ M1 : pour la dernière nouvelle du recueil, c'est presque ça !
Tu as l'air éprise de ce pays et d'en avoir une réelle connaissance. La dernière nouvelle me fait envie, en tout cas.
@ Mamzellescarlett : effectivement, c'est la seule des trois nouvelles qui est vraiment un peu plus fine. Même si ce pays est fatigant à bien des égards, c'est vrai que me confronter au quotidien à des choses que je ne comprends pas ou n'imagine même pas est très enrichissant et excitant à la fois !
Merci pour cette précieuse critique. Moi qui après le Japon et Cuba, m'attaque à l'Inde 😉
@ Faustine : ce sera donc l'Inde ? Si c'est le cas, c'est très bien car cela n'aura rien à voir avec Cuba (à part quelques paysages dans le sud de l'Inde) notamment côté ambiance beaucoup plus "coincée", et strictement rien à voir avec le Japon (à part la contrainte sociale permanente). De très belles découvertes en perspectives... et si tu passes par Bombay, on boira un "chai" ensemble !!!
Non, non, non, je n'ai pas encore choisi mon voyage de noce 🙂 Je parlais juste de littérature ;))
Je voyage grâce aux livres et là, j'attaque ma période Indienne ...
@ Faustine : ah d'accord ! Au cas où tu cherches des idées de lecture, tu peux aller sur mon site "Passage to Mumbai" !
Cool, merci 🙂
@ Faustine : avec plaisir !