Où tu découvres le nouveau chauffeur de Tac, où tu découvres qu’il est difficile de distinguer mensonge et vérité (mentir n’est pas immoral en Asie si c’est pour une bonne cause), où se confirme enfin qu’avoir du personnel en Inde est réellement une plaie. De mon point de vue, en tout cas…
Finalement, Zola n’a rien inventé, il est juste venu visiter l’Inde. Exemple probant à l’appui ? L’histoire du nouveau chauffeur de Tac (souviens-toi, nous avons du dire au revoir à Obiwan). Habitant dans un bidonville de Colaba, Dalilo (appelons-le comme ça, héhéhé…) a dès les premiers jours de travail eu besoin d’argent : sa mère, malade, venait de faire une attaque cardiaque. Commençant à peine, il n’avait pas de quoi payer son hopistalisation et ses médicaments.
Pas de fonds de roulement donc, pas de liquidités en cas de coup dur. Les achats se font en gros pour baisser les coûts : ainsi, Dalilo en début de mois s’endette de 2500 roupies pour acheter la nourriture du mois. Avec les intérêts donc. Et le premier quart de sa paye dépensé avant même d’être perçu. Ce type de famille indienne vit donc presque au jour le jour. Pas de banque signifie aussi aucune possibilité d’emprunt, aucune possibilité d’avance. Ce sont donc la famille, les amis, les voisins, les usuriers et les mafias qui prêtent avec des taux d’intérêts bien dodus. Oui, même la famille et les voisins : eux aussi ont besoin d’argent, il ne faut perdre aucune occasion d’en gagner ! Du genre : Dalilo a emprunté 10 000 roupies, et donne 1 000 roupies par mois d’intérêt en attendant d’avoir remboursé le capital (120% d’intérêt sur une année, au bout de laquelle il arrive) ; même chose avec sa voisine. Et sa situation est telle que l’on est portés à le croire, mais si… toujours le doute…
L’emprunt est toujours nécessaire, tant le cercle vicieux de la pauvreté est zolien. C’est évidemment quand tu viens de rembourser les commerçants qui te vendent à crédit la nourriture et que tu es donc sur la paille, que le toit qui n’a pas été réparé faute de moyens fuit à cause de la mousson. Manquerait plus que l’enfant qui dort en dessous tombe malade, que la maladie s’aggrave car voir le médecin était trop onéreux, etc. Ce n’est pas ce qui s’est passé pour le chauffeur de Tac : lui, quand il eût payé sa nourriture, il dut faire face à l’hospitalisation de sa mère et à une infection dentaire plutôt violente (visible) ; puis il se fait voler une partie de son salaire pour enfin se faire tabasser par les usuriers chez qui il a un emprunt. Car, s’il est une bonne proie pour eux (un cinquième de son salaire mensuel passe à rembourser les intérêts seulement), il n’a pas caché travailler pour des Occidentaux. Depuis, bizarrement, les usuriers sont devenus plus insistants pour retrouver leur mise. Vous voyez quand je parle de Zola ?
Dalilo soutient une famille composée de femmes et d’enfants depuis que son père est mort il y a deux ans : sa mère qui se laisse dépérir, sa jeune sœur, sa femme et ses deux enfants. Il faut payer l’école et la formation de couture de la sœur ; l’épouse est allée au lycée certes, mais tu imagines bien qu’elle ne travaille pas : elle a deux enfants, que diable ! Quand bien même le besoin d’argent est très pressant, cela ne se fait pas de laisser ses enfants, même à sa belle-mère ou sa belle-sœur (que dire d’une voisine, qui s’occuperait pendant la journée d’une dizaine d’enfants par exemple, dont les mères iraient travailler : n’y pensons même pas !). Il ne faudrait pas que l’on dise que c’est une mauvaise mère, et surtout qu’elle est débauchée : aller travailler à l’extérieur, ouhlalala ! Et puis, il ne faudrait pas que l’on croit que le mari ne parvient pas à subvenir aux besoins de sa famille…
En résumé, cela revient encore à une histoire de fesses : la femme qui veut contribuer aux recettes de son ménage abandonne ses enfants et s’en va courir les hommes, et le mari qui la laisserait faire manquerait de virilité et accepterait que sa femme se débauche à l’extérieur. D’où, le cercle… euh… vicieux ?